L’Église catholique face à la liberté papoue

L’Église catholique face à la liberté papoue

Depuis plus d’un demi-siècle, la Papouasie occidentale crie dans le silence du monde. Dépossédé de sa terre et de sa dignité, le peuple papou transforme une question politique en une interpellation morale adressée à nos consciences.


Annexée de manière controversée dans les années 1960, la Papouasie occidentale est depuis marquée par un long conflit et une violence structurelle persistante, ayant causé la mort de plusieurs centaines de milliers de Papous.

Face à cette réalité tragique, l’Église catholique, si elle veut rester fidèle à sa vocation prophétique et à la Doctrine sociale de l’Église (DSE), ne peut se réfugier dans une neutralité morale coupable : le respect du droit des peuples, l’exigence de solidarité et la quête du bien commun imposent une prise de position claire et courageuse en faveur de la liberté. 


La dignité humaine et le droit des peuples à l’autodétermination

Le premier principe de la DSE est la dignité inaliénable de toute personne humaine (cf. Compendium de la Doctrine sociale de l’Église, §105-160). Or, cette dignité ne peut être pleinement respectée lorsqu’un peuple vit sous domination, répression ou déni de ses droits collectifs. 

En Papouasie occidentale, cette négation trouve son origine historique dans la Pepera de 1969 — un “acte de libre choix” organisé sous contrainte militaire et sans participation populaire authentique — qui a scellé l’intégration controversée du territoire à l’Indonésie. Depuis lors, le peuple papou, autochtone de la Mélanésie, est systématiquement exclu de toute participation politique réelle, et demeure victime de discriminations raciales structurelles ainsi que de violences militaires récurrentes.


La souveraineté collective des peuples face à la domination

L’Église reconnaît non seulement la dignité de l’individu, mais aussi celle des communautés historiques et culturelles. Dans Pacem in Terris (1963), saint Jean XXIII affirme :

« Chaque être humain et chaque communauté politique a le droit d’exister, de se développer et de se gouverner selon sa propre culture et ses propres traditions. »

Ce principe rejoint la reconnaissance par le Saint-Siège du droit des peuples à l’autodétermination tel qu’exprimé dans Gaudium et Spes (1965, §65 et §73), où le Concile Vatican II souligne que la paix ne peut être fondée sur la domination, mais sur la participation libre et responsable des peuples à leur destin.

Ainsi, le peuple papou — porteur d’une culture mélanésienne distincte, majoritairement chrétien, profondément enraciné dans une spiritualité liée à la terre et détenteur d’une identité aujourd’hui menacée — possède le droit moral, naturel et divin de choisir librement son avenir.


Le devoir de solidarité et de fraternité entre les peuples

L’Église enseigne que la solidarité n’est pas une option sentimentale, mais une exigence morale et évangélique. Jean-Paul II, dans Sollicitudo Rei Socialis (1987, §38-39), définit la solidarité comme « la ferme et persévérante détermination de s’engager pour le bien commun, c’est-à-dire pour le bien de tous et de chacun ».

Or, l’Église en Indonésie — comme l’Église universelle — est appelée à manifester cette solidarité non pas avec les structures de pouvoir, mais avec les victimes de l’injustice. Le Christ, dans l’Évangile, s’identifie aux opprimés :

« Tout ce que vous avez fait à l’un de ces petits, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40).

Ainsi, soutenir le peuple papou dans sa quête de liberté n’est pas une ingérence politique, mais un acte de solidarité chrétienne envers une communauté crucifiée. 


Entre expropriation et destruction écologique : le Calvaire papou

La Papouasie est aujourd’hui une terre où la croix du Christ se dresse dans les corps martyrisés par les opérations militaires, dans les villages déplacés et dans les forêts détruites.

Le Projet Stratégique National (PSN) de Merauke, présenté comme un programme de développement de la souveraineté alimentaire, menace gravement l’équilibre écologique de la région et fait peser un risque réel de disparition sur les flores et les faunes endémiques, tout en accélérant la dépossession des peuples autochtones de leurs terres ancestrales. À lui seul, ce projet concerne près de cinq millions d’hectares — une superficie comparable à celle de la Slovaquie ou du Danemark !

Là où l’on parle de sécurité et de progrès, les Papous subissent l’expropriation, la militarisation et la destruction de la Création, transformant leur terre sacrée en un nouveau Golgotha.


La paix véritable suppose la justice

Dans Populorum Progressio (1967), Paul VI affirmait :

« Le développement est le nouveau nom de la paix. »

Mais il ajoutait aussitôt que le développement doit être intégral, respectant la culture, la liberté et les valeurs spirituelles des peuples. Le développement imposé par la force, au prix de la destruction culturelle et écologique, n’est qu’une forme de colonialisme économique.

La situation papoue démontre une profonde contradiction : sous prétexte d’intégration nationale et de progrès, on justifie la spoliation des terres, l’exploitation minière intensive (comme celle de Grasberg), et la militarisation permanente.

Une telle situation viole le principe de justice sociale, rappelé dans Evangelii Gaudium (2013, §187), où le pape François écrit :

« Tant que les problèmes des pauvres ne sont pas résolus radicalement, en s’attaquant aux causes structurelles de l’injustice, les maux du monde ne seront pas guéris. »

Ainsi, pour que la paix règne en Papouasie occidentale, il ne suffit pas d’un cessez-le-feu ou d’une promesse de développement ; il faut rendre justice au peuple papou — c’est-à-dire reconnaître son droit à l’autonomie véritable, voire à l’indépendance, si tel est son choix.


La mission prophétique de l’Église : préférer la croix à la complicité

Le prophète Isaïe proclame :

« Apprenez à faire le bien, recherchez la justice, soutenez l’opprimé » (Is 1,17).

L’Église, si elle veut rester fidèle à sa mission prophétique, ne peut demeurer neutre entre l’oppresseur et l’opprimé. Le silence, dans un contexte d’injustice structurelle, devient complicité. Le pape François, dans Fratelli Tutti (2020, §68), avertit contre cette neutralité perverse :

« Prétendre rester neutre face à la souffrance des innocents revient à se ranger du côté de l’oppresseur. »

Ainsi, l’Église catholique — en Indonésie, à Rome ou ailleurs — a le devoir de rompre le silence, de dénoncer les violations des droits humains, et de se tenir aux côtés du peuple papou dans sa lutte pour la dignité et la liberté.

Soutenir la cause papoue, c’est rendre témoignage à la vérité (cf. Gaudium et Spes, §28) : celle d’un peuple dont le cri résonne avec celui du Christ abandonné.


Vers une théologie de la libération mélanésienne

La cause papoue interpelle aussi la théologie elle-même. Elle révèle la nécessité d’une théologie incarnée dans la souffrance des peuples noirs de Mélanésie.

Comme le rappelle Evangelii Nuntiandi (Paul VI, §20), l’évangélisation est inséparable de la promotion humaine et de la libération. L’annonce de l’Évangile en Papouasie occidentale ne peut être crédible que si elle se traduit par un engagement concret pour la justice, la terre, et la culture papoue.

Ainsi, soutenir la liberté du peuple papou, c’est participer à l’œuvre même de Dieu, qui « libère les captifs » (Lc 4,18) et « renverse les puissants de leur trône » (Lc 1,52).


Conclusion

Ici, il ne s’agit pas d’un choix politique, mais d’un impératif évangélique : la Doctrine sociale de l’Église condamne la neutralité face à l’oppression et exige de choisir la justice, la dignité et le bien commun.

Tant que le peuple papou sera écrasé par l’injustice, l’Église ne pourra annoncer pleinement l’Évangile de la paix. Se taire, c’est trahir.

Soutenir l’autodétermination de la Papouasie occidentale, c’est voir le Christ dans les crucifiés de l’histoire et se tenir à leurs côtés.

Alors, peut-être, de la croix papoue jaillira une résurrection pour toute l’Église — réconciliée avec les pauvres, les peuples autochtones et la Création entière.

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