Papouasie Occidentale : Droits de l’Homme et l’oubli de l’injustice
Papouasie Occidentale : Droits de l’Homme et l’oubli de l’injustice
Alors que le monde célèbre la Déclaration universelle, la France et l’Indonésie détournent le regard : en Papouasie, les droits humains sont violés chaque jour.
Le 10 décembre, Paris aime célébrer la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée en 1948 au Palais de Chaillot, comme si la France, « patrie des droits de l’homme », incarnait naturellement la conscience morale du monde.
Pourtant, en cette date qui se veut sacrée, un silence assourdissant couvre l’une des tragédies les plus anciennes et les plus documentées du monde contemporain : la situation en Papouasie occidentale.
D’un côté, une proclamation universelle, noble, abstraite ; de l’autre, un peuple qui endure quotidiennement la torture, la militarisation, la dépossession, la mort. Entre les deux, la diplomatie française — et plus largement occidentale — qui détourne le regard, privilégie ses partenariats stratégiques avec Jakarta, et sacralise un ordre international où l’économie prime sur la justice.
Une colonisation silencieuse
Depuis 1963, puis surtout depuis l’« Acte de Libre Choix » de 1969 — profondément manipulé et dénoncé par d’innombrables observateurs — la Papouasie, annexée par l’Indonésie, est le théâtre d’un système de violence structurelle.
Ce qui se passe là-bas n’est ni accidentel, ni sporadique, ni attribuable à des « éléments isolés » comme le répète Jakarta : il s’agit d’une architecture cohérente de répression à caractère colonial, où l’armée exerce une domination totale sur une population mélanésienne considérée comme suspecte par essence, potentiellement sécessionniste, culturellement différente et — aux yeux de certains dirigeants indonésiens — insuffisamment « civilisée ».
La France, qui autrefois se voulait porteuse d’un message universel, accepte pourtant sans difficulté cet état de fait, au nom d’une realpolitik qui place la vente d’armes, les grands contrats et l’influence géopolitique au-dessus des principes.
La preuve chiffrée d’une violence systémique
Les chiffres, eux, ne mentent pas. En 2024, Human Rights Monitor a documenté cinquante-trois cas de torture ou de mauvais traitements — un chiffre en hausse par rapport à 2023 — ainsi que dix-huit meurtres extrajudiciaires imputés aux forces de sécurité indonésiennes.
Amnesty International, de son côté, dénombre au moins 128 homicides illégaux entre 2018 et juin 2024, avec un total d’au moins 236 civils tués, dont 131 par les forces de sécurité. Si l’on remonte un peu plus loin, entre 2010 et 2018, Amnesty constate une moyenne d’un Papou tué illégalement chaque mois.
Et ce ne sont là que les données officiellement documentées : les ONG reconnaissent elles-mêmes que l’accès limité à la région, l’interdiction faite aux journalistes étrangers, la peur des témoins et la surveillance généralisée rendent la plupart des crimes invisibles ou sous-déclarés. Depuis l’annexion, le nombre total de Papous tués pourrait atteindre 500 000, selon plusieurs observateurs et historiens.
Une crise humanitaire prolongée
Ce tableau s’assombrit davantage lorsqu’on examine la situation humanitaire. Les opérations militaires permanentes, notamment depuis 2018, ont provoqué la fuite de plus de 100 000 Papous, déplacés internes vivant dans des conditions de survie indignes, sans accès stable à la nourriture, aux soins ou à la protection. S’y ajoutent les Papous ayant trouvé refuge en Papouasie-Nouvelle-Guinée, confrontés à la précarité et à l’absence de reconnaissance officielle de leur statut.
Certains villages ont été vidés, incendiés ou bombardés. Les écoles et les églises — souvent les seuls lieux de vie communautaire — ont été transformées en postes militaires. À cela s’ajoutent les arrestations de masse qui frappent systématiquement toute tentative de manifestation pacifique.
Indonésie : un État de droit en trompe-l’œil
Le 10 décembre 2022, symbole cruel, cent seize Papous furent arrêtés et dix-sept blessés pour avoir simplement voulu participer à la Journée internationale des droits de l’homme. Les années suivantes ont répété ce même rituel de répression.
Cette violence ne se limite pas à la Papouasie : elle s’inscrit dans une histoire longue où l’Indonésie, tout en se proclamant État de droit, a bafoué à plusieurs reprises le droit international.
La confrontation militaire avec la Malaisie dans les années 1960, l’invasion et l’occupation sanglante du Timor-Oriental durant vingt-quatre ans (1975-1999), les massacres massifs commis sous Suharto — jamais jugé, jamais confronté à ses crimes, aujourd’hui même honoré comme « héros national » — témoignent d’une continuité inquiétante.
Le même État qui se dit respectueux de la Charte de l’ONU a piétiné sans vergogne le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, aussi bien au Timor qu’en Papouasie.
France : la Realpolitik avant les droits
Mais tandis que le Timor-Leste a finalement conquis son indépendance grâce à un retournement historique de l’opinion internationale et à la fin de la guerre froide, les Papous, eux, demeurent abandonnés dans l’un des angles morts les plus dérangeants de la politique mondiale.
Et la France, dans tout cela ? Elle sait. Elle reçoit les rapports. Elle lit les chiffres. Elle connaît les vidéos, les témoignages, les données transmises par Amnesty, Human Rights Monitor ou les organisations religieuses présentes sur le terrain. Mais elle se tait.
Elle se tait parce que Jakarta est un partenaire stratégique en Asie du Sud-Est, parce que vendre des avions de combat vaut plus que dénoncer cinquante-trois cas de torture, parce que le nickel et le cuivre de Papouasie — extraits au bénéfice des grandes compagnies et protégés par des milliers de soldats — pèsent plus lourd que les 236 civils tués dont les noms ne franchissent jamais les frontières de la province. Se taire est plus rentable que parler.
Papouasie occidentale : l’épreuve morale de tous
Chaque 10 décembre, la France célèbre la Déclaration universelle des droits de l’homme qu’elle n’applique pas universellement. Elle proclame la dignité humaine tout en fermant les yeux sur les violations en Papouasie, la liberté d’expression tout en ignorant la répression des manifestations pacifiques, et la sécurité tout en collaborant militairement avec ceux qui incendient des villages. La Déclaration devient un rituel vide.
Il est urgent de lancer un appel à tous : au gouvernement, pour exiger le respect des droits humains en Papouasie ; à l’Église, pour plaider en faveur des Papous et dénoncer la complicité silencieuse ; à la gauche française, pour soutenir les mouvements d’autodétermination ; et aux citoyens, afin qu’ils témoignent et exercent une pression morale sur leurs élus.
La Papouasie occidentale est le test de notre conscience collective. Tant que les Papous restent invisibles et que leurs morts ne sont que des chiffres, le 10 décembre restera une célébration creuse. Il est temps de transformer les mots en actes et de donner aux Papous justice et liberté.


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