Markus Haluk et sa lutte non-violente pour la Papouasie indépendante

Markus Haluk, directeur exécutif de l'ULMWP


"Je veux être pasteur non seulement pour les catholiques, mais aussi pour tous les Papous!" a déclaré Markus Haluk à ses supérieurs. C'était en 2004 : Markus, alors séminariste, a décidé de renoncer à la vie religieuse, pour se consacrer à son peuple. A l’instar de Moïse qui a guidé le peuple d'Israël pour sortir de l'esclavage égyptien, Markus se sent appelé à guider le peuple papou pour se libérer du joug colonial indonésien, pays qui occupe ses terres ancestrales depuis plus de soixante ans.

La Papouasie est un vaste territoire dans le Pacifique. Presque aussi grande que la France, elle resta, jusqu'au milieu du XXe siècle, l'une des régions les plus isolées de la planète, habitée par des tribus noires mélanésiennes depuis des milliers d'années. Revendiquée par les Hollandais comme colonie au début du XIXe siècle, la Papouasie occidentale a déclaré son indépendance le 1er décembre 1961. Mais quelques semaines plus tard, l'Indonésie voisine, devenue indépendante des Pays-Bas quinze ans auparavant, l'a envahie puis annexée. Cela avec la complicité des grandes puissances occidentales, moyennant un référendum truqué, dans l’indifférence de la communauté internationale.

Markus Haluk est né en 1980 dans une Papouasie dominée par l'Indonésie. Il a passé son enfance à Pugima, village situé dans la vallée de Baliem, Wamena, au coeur de la Papouasie. Il est le fils benjamin de Hakhowok Yogotak Haluk, chef de la tribu Hubula. Le jour de sa naissance n’est pas connu. Mais sa mère, Laluge Itlay dit qu'elle l'a mis au monde un dimanche, après la sortie de la messe, vers midi. Comme beaucoup de Papous, Markus a été élevé dans la foi chrétienne, reçue des missionnaires occidentaux. Adolescent, il a perdu son père. Grâce au parrainage du père Frans Lieshout, franciscain hollandais, Markus a pu continuer ses études supérieures à la faculté de théologie Fajar Timur à Jayapura, capitale de la Papouasie. 

Plus d'un demi-siècle d'occupation indonésienne ont généré bien des souffrances chez les Papous indigènes. Markus, lorsqu'il était enfant, a vu des soldats indonésiens torturer et tuer plusieurs habitants de son village. Outre les opérations militaires, Jakarta a également mis en place un programme de repeuplement dans sa province la plus orientale. La nouvelle population vient notamment des îles surpeuplées de Java et de Célèbes-sud, majoritairement musulmanes. Aujourd'hui, les papous sont devenus minoritaires sur leurs propres terres. Ils n'y représentent plus que 50 % de la population, contre 90% avant l’annexion. Pire, les papous subissent le pillage de leurs terres, riches en ressources naturelles. PT Freeport Indonesia, filiale du géant américain Freeport McMoRan, exploite les gisements de Grasberg, troisième réserve mondiale d’or et de cuivre ! Sans parler de la destruction des centaines de milliers d'hectares de forêts au profit des divers projets agro-alimentaires. Markus, comme tant d'autres militants papous, n'hésite pas à employer les termes de génocide et d'écocide pour décrire ce triste comportement du gouvernement indonésien. 

Depuis 1961, les papous ont essayé de résister de diverses manières, notamment par la lutte armée. La guérilla se poursuit encore aujourd'hui, en particulier dans des régions montagneuses telles que Maybrat, Puncak et Nduga. Environ 500 000 papous auraient été tués au cours de cet incessant conflit. A l'image de David qui combat Goliath avec un lance-pierre, les papous mènent un combat inégal face à l'armée indonésienne. C'est dans ce contexte que Markus Haluk, aujourd'hui directeur exécutif du Mouvement uni de libération de la Papouasie occidentale (ULMWP), choisit la résistance non-violente. Pas seulement pour des raisons tactiques. Car selon lui, la non-violence est inscrite dans la tradition papoue. De plus, la résistance non-violente contre le colonialisme existait bien avant l'occupation indonésienne. En 1940, à Biak, trente mille Papous, dirigés par Anggani Menufandu, ont engagé une désobéissance civile contre l’interdiction de chants et de danses traditionnels, les impôts et le travail forcé imposés par le gouvernement néerlandais. Ils avaient de la même façon refusé l'occupation japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale. 

Dans sa lutte pour la Papouasie indépendante, Markus s'inspire de la parole du Christ dans Matthieu 25:40 : "Tout ce que vous avez fait pour l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait." Pour Markus, cela signifie également : « Ne rien faire pour l’opprimé, c'est en fait choisir le camp de l’oppresseur. » Dans le contexte papou, la lutte non-violente contre le régime colonial indonésien doit commencer par la prise de conscience, par les papous, de leurs propres identités et cultures. En effet, depuis le début de l'occupation indonésienne, tout à été fait pour effacer l’histoire et la tradition millénaire des papous. De nouveaux récits ont été élaborés par le régime indonésien pour légitimer sa prétendue mission civilisatrice. Or, la réalité est tout autre… Le père Frans Lieshout témoigne de la brutalité de l'armée indonésienne lorsqu'elle est entrée à Jayapura, le 1er mai 1963 : « Les militaires indonésiens sont entrés comme une bande de voleurs. Ils étaient féroces. On aurait dit des voyous ramassés dans les rues de Jakarta. J'ai vu leur déchaînement. Ils ont pillé non seulement des magasins, mais aussi des hôpitaux ! Toutes sortes de fournitures ont été prises puis envoyées par bateau à Jakarta. Partout dans la ville, il y avait des bûchers : des livres, des documents et des archives en néerlandais ont été brûlés. Dès le début, ils ont montré leur vrai visage, à savoir un régime militaire cruel. » 

Malgré les innombrables efforts du régime indonésien pour cacher son jeu, de plus en plus d'Indonésiens sont aujourd'hui conscients du colonialisme honteux en Papouasie occidentale. En 2016, une pétition géante a été organisée par L'islam pour contester la validité du référendum de 1969 qui avait abouti à l'annexion de la Papouasie. Cette pétition a été signée par 1,8 million de Papous et d'Indonésiens. Elle a été présentée à la commission des droits de l'homme de l'ONU l'année suivante. Et cela ne s'est pas arrêté là : des actions non-violentes sous forme de longues marches et de sittings devant des bureaux gouvernementaux se sont poursuivis dans toute la région de Papouasie, et même dans plusieurs grandes villes indonésiennes. Les mouvements de solidarité à l'étranger ont appelé au boycott des produits d'exportation indonésiens, notamment l'huile de palme, dont l'Indonésie est le premier producteur mondial. Cela, au prix de la déforestation massive en Papouasie. 

Le 16 août 2019, à Surabaya, deuxième ville d'Indonésie, un groupe d'étudiants papous s'est fait traiter de "Singes!" par des policiers et des milices pro-gouvernementales. Cet incident raciste a déclenché une vague d’indignation à travers la Papouasie. Malheureusement, à plusieurs endroits, des manifestations pacifiques se sont transformées en émeutes. La police indonésienne s’en est servie comme prétexte pour arrêter les principaux militants papous. L'un d'eux, Victor Yeimo, 40 ans, a été accusé de trahison et risquait la prison à vie. Suite à la pression d'Amnesty International, sa peine a été réduite à trois ans (27/4). Markus Haluk, bien que non inculpé, reste dans l'ombre de l'appareil judiciaire indonésien. Il a été détenu à plusieurs reprises par la police en raison de ses activités dissidentes. 

Aujourd’hui, malgré tant d’obstacles, des milliers de papous continuent à lutter pour la libération de leur pays. « La Papouasie indépendante sera un pays modèle pour les écologistes. Elle conservera ses forêts et ne fera aucune concession avec les multinationales. L'éducation et la santé seront ses principaux piliers. A la différence des autres nations, l'Etat Papou organisera des résistances civiles non-violentes pour la défense de son territoire, au lieu de compter sur les forces armées équipées par les puissances étrangères." a fièrement déclaré Markus Haluk.

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