Mémoires d’un Séminariste Dissident : Le Combat d’un Papou pour la Liberté

Mémoires d’un Séminariste Dissident : Le Combat d’un Papou pour la Liberté

J’étais encore adolescent lorsque l’Indonésie, ébranlée par une crise profonde, se lança dans ce qu’elle appela une “réforme démocratique”. C’était en mai 1998. La dictature de Suharto s’effondrait sous la pression populaire. Les rues de Jakarta brûlaient. Mais à Jayapura, capitale coloniale de la Papouasie, nous brûlions d’un tout autre feu.

Vêtu de mon uniforme de lycéen, je me suis joint aux premières manifestations pour l’indépendance de la Papouasie. Tandis que les Indonésiens luttaient pour des élections plus justes, nous, Papous, exigions quelque chose de plus fondamental : notre droit d’exister en tant que peuple.

De 1999 à 2004, j’ai poursuivi mes études à la faculté de théologie de Fajar Timur, le seul séminaire catholique de Papouasie qui osait encore parler de libération. J’y ai appris que la foi, si elle n’est pas ancrée dans la justice, n’est qu’un déguisement pieux de la lâcheté. Avec d’autres camarades, nous avons participé à des discussions, à des sit-ins, à des marches silencieuses — chaque geste pesé, chaque parole risquée. À cette époque, parler d’autodétermination n’était pas un acte de militantisme : c’était un acte de guerre contre un empire silencieux.

Nous avons dénoncé les exactions de l’armée et de la police indonésiennes à Wamena, Abepura, Wasior, Puncak Jaya, Timika — des lieux devenus synonymes de massacres. Nous avons combattu la loi scélérate de division territoriale imposée par Megawati Sukarnoputri, une tentative cynique de balkaniser notre peuple pour mieux le dominer. Et nous avons rejeté d’un bloc le leurre de l’"autonomie spéciale", cette ruse institutionnelle inventée à Jakarta pour pacifier les consciences, pendant que les pelotons de soldats pacifiaient les villages.

Mais l'État indonésien ne dialogue pas ; il menace. Il ne négocie pas ; il intimide. Les insultes, les menaces, les filatures faisaient partie de notre quotidien. J’ai appris à prier tout en regardant derrière mon épaule.

Je me souviens très précisément du 10 décembre 2000, journée mondiale des droits de l’homme. Nous nous sommes rassemblés pacifiquement devant le commissariat d’Abepura. Trois jours auparavant, plusieurs étudiants papous avaient été arrêtés, torturés, certains jusqu’à la mort. Quatre jeunes cadavres pour avoir osé demander justice.

Durant notre manifestation, un policier m’a braqué son arme sur l’oreille droite. Il m’a soufflé, avec le calme sinistre de ceux qui ont la loi et l'impunité de leur côté :
“La Papouasie a été achetée avec le sang des Indonésiens. Si tu veux l’indépendance, quitte cette terre. Va sur une île du Pacifique. Là-bas, tu pourras être libre.”

Je n’ai rien répondu. Que répondre à une absurdité aussi parfaite ? Pour lui, la Papouasie était une marchandise acquise par le sang. Un territoire conquis, propriété nationale. Et nous, les autochtones, des invités gênants dans notre propre maison.

Mais au fond de moi, je savais : si l’occupation se prétend éternelle, alors la résistance doit l’être aussi. Le cynisme de ce policier n’a pas affaibli ma détermination. Il l’a aiguisée. Chaque balle, chaque humiliation, chaque mensonge officiel est un baptême de feu pour la cause indépendantiste.



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