SOIXANTE ANS DE CRIMES CONTRE L'HUMANITÉ EN PAPOUASIE OCCIDENTALE (1963-2023)

Le 1er mai 2023, le peuple papou de Papouasie occidentale a commémoré les soixante années d'occupation indonésienne. 

À cette occasion, une question cruciale revient sur toutes les lèvres : que s’est-il réellement passé durant ces six décennies ? Les Papous vivent-ils aujourd’hui en paix sur leur terre ancestrale, dans le cadre de la République d’Indonésie ?

La réalité est bien sombre. À ce jour, de nombreux conflits armés ensanglantent encore les régions d’Intan Jaya, Nduga, Puncak Jaya, Puncak Papua, Yahukimo, Kiwirok – Pegunungan Bintang et Maybrat. Chaque jour, les populations papoues continuent de subir des violences, des exactions et des violations des droits humains de la part des autorités indonésiennes.

Avant d’aborder ces violations, il convient de rappeler ce que sont les droits humains. De manière générale, les droits de l’homme sont des droits fondamentaux, inaliénables, que tout être humain possède par sa seule humanité. Ce principe, énoncé dès 1789 dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en France, affirme que "les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits". Repris par l’ONU en 1948 dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, il s’est enrichi en 1966 de deux pactes : l’un sur les droits civils et politiques, l’autre sur les droits économiques, sociaux et culturels.

L’Indonésie, proclamée indépendante en 1945, intègre la défense des droits humains dans sa Constitution. Le préambule de celle-ci reconnaît explicitement que l’indépendance est un droit pour tous les peuples. En 1999, dans le contexte de réformes démocratiques ayant suivi la chute du général Suharto, l’Indonésie adopte une loi sur les droits humains et ratifie plusieurs conventions internationales.

Mais dans les faits, les violences d’État et les violations des droits de l’homme, en particulier à l’encontre des Papous, se sont poursuivies sans relâche depuis 1963. À travers diverses justifications, les autorités indonésiennes ont conduit des opérations militaires entraînant la mort de milliers de civils papous.

L’histoire de ces violences peut être divisée en quatre grandes périodes :

Premièrement, sous la présidence de Sukarno (1963-1967), le processus d’annexion débute par l’opération militaire Trikora, soutenue par l’Union soviétique. Malgré une première déclaration d’indépendance papoue en décembre 1961, l’ONU transfère le territoire à l’Indonésie le 1er mai 1963, en vue d’un référendum qui ne sera jamais démocratique. Dès le début, l’armée indonésienne s’illustre par des bombardements, des pillages et des massacres, notamment à Manokwari, où l’on dénombre entre 1 000 et 2 000 morts.

Deuxièmement, sous le régime du général Suharto (1967-1998), l’exploitation de la Papouasie est intensifiée, notamment avec la concession minière accordée à Freeport en 1967. En 1969, l’Acte de libre choix, référendum organisé sous pression militaire, implique seulement 1 025 Papous, soigneusement sélectionnés, sur près de 800 000 habitants. Ce simulacre permet l’intégration officielle du territoire à l’Indonésie. Selon Eliezer Bonay, ancien gouverneur, environ 30 000 Papous ont été tués entre 1963 et 1969. D’autres sources évoquent jusqu’à 100 000 morts, voire 500 000 selon Benny Wenda, leader indépendantiste. Pendant 32 ans, au moins dix opérations militaires majeures ont été menées, engendrant de nouvelles vagues de violences.

Troisièmement, la période dite de "Réforme démocratique" (1998-2001) débute avec la chute de Suharto. Si une ouverture démocratique semble s’amorcer, elle est de courte durée. Des manifestations pacifiques sont réprimées dans le sang à Biak, Wamena, Abepura ou Nabire. Entre 1998 et 2003, on estime à environ 2 500 le nombre de Papous tués. La politique de transmigration, favorisant l’installation de populations venues de Java, Bali ou Sulawesi, accentue la marginalisation des Papous sur leurs terres.

Quatrièmement, depuis 2001, la Papouasie bénéficie d’un statut d’autonomie spéciale. Pourtant, cette période reste marquée par une répression persistante. L’assassinat du leader Theys Eluay par les forces spéciales KOPASSUS en 2001, les massacres à Wasior, Wamena, Paniai, Abepura, Nduga ou Intan Jaya montrent que l’autonomie n’a rien changé au fond du problème. S’ajoutent à cela des violences structurelles moins visibles : propagation du VIH/SIDA, alcoolisme, pauvreté extrême, destruction écologique, racisme ordinaire, et marginalisation économique et politique.

Depuis 2013, plusieurs voix internationales s’élèvent. Des pays mélanésiens, africains, caribéens et pacifiques dénoncent les atteintes graves aux droits humains. En 2019, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies place la Papouasie occidentale parmi les zones de conflit à surveiller. Lors de l’Assemblée générale de l’ONU en 2021, plusieurs États ont condamné l’intimidation des défenseurs papous.

Markus Haluk, directeur exécutif de l’ULMWP, résume ainsi la situation : "Pour nous, Papous, le développement n’est qu’un prétexte pour l’État indonésien afin de justifier les meurtres, les viols, les emprisonnements arbitraires. Les responsables de ces atrocités sont rarement punis. Le plus souvent, ils sont récompensés. Pendant ce temps, le peuple papou s’éteint lentement."

En 2021, plus de 700 000 signatures ont été recueillies par la Pétition du peuple papou pour exiger un référendum d’autodétermination. Il est temps que l’Indonésie, sous la présidence de Joko Widodo, autorise la visite d’enquête du Conseil des droits de l’homme de l’ONU en Papouasie occidentale. 

La seule issue démocratique est de respecter le droit fondamental des Papous à l’autodétermination. En d’autres termes, face à des décennies de domination, de violence et de négation d'identité, la solution ne peut venir ni de la force ni du silence, mais d’un processus libre, équitable et transparent où les Papous décident eux-mêmes de leur avenir. 

Ce droit, inscrit dans le droit international (Charte des Nations unies, pacte international relatif aux droits civils et politiques, résolution 1514 sur la décolonisation), reconnaît à tout peuple le droit de déterminer librement son statut politique et de poursuivre son développement économique, social et culturel. Le nier, c’est perpétuer une injustice coloniale ; le reconnaître, c’est ouvrir la voie à la paix véritable.

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