Colonialisme postcolonial : le cas de la Papouasie occidentale sous domination indonésienne

Colonialisme postcolonial : le cas de la Papouasie occidentale sous domination indonésienne

Le processus de décolonisation du XXe siècle fut souvent perçu comme une marche inexorable vers la liberté, l’autodétermination et la souveraineté nationale. Pourtant, cette lecture linéaire et téléologique occulte une réalité plus complexe : certains États anciennement colonisés sont devenus eux-mêmes des puissances coloniales. L’Indonésie, indépendante depuis 1945, incarne tragiquement cette dérive impériale, en particulier à travers son annexion et son occupation persistante de la Papouasie occidentale.


Héritage colonial et continuité impérialiste

En 1961, quinze ans après avoir rompu avec la domination néerlandaise, le gouvernement indonésien, sous la présidence de Sukarno, lança une opération militaire pour intégrer la Papouasie occidentale, alors encore administrée par les Pays-Bas. Cette région, habitée majoritairement par des peuples mélanésiens, aspirait à l’indépendance et avait amorcé un processus de formation nationale, avec l’émergence d’un parlement local et le lever du drapeau 'Morning Star'.

Deux ans plus tard, l’Indonésie tenta une incursion en Malaisie, sans succès. En 1975, elle annexa le Timor oriental, ancienne colonie portugaise, qui dut attendre 1999 pour accéder à une souveraineté chèrement acquise. Ainsi, loin d’être un simple acteur postcolonial, l’Indonésie s’est comportée, dans plusieurs cas, comme une puissance expansionniste, justifiant ses actions par l’idéologie de l’unité nationale (NKRI – Negara Kesatuan Republik Indonesia) tout en réprimant les aspirations identitaires et politiques de plusieurs peuples autochtones.


Entre documentation et effacement : deux colonialismes, deux logiques

Une différence cruciale sépare cependant la domination néerlandaise de la domination indonésienne en Papouasie occidentale : celle de la transparence et de la mémoire. Le régime colonial hollandais, tout en imposant une logique d’exploitation, a laissé derrière lui une abondante documentation sur les sociétés papoues. Anthropologues, linguistes et missionnaires ont produit des archives précieuses, qui demeurent aujourd’hui des sources essentielles pour comprendre l’histoire et les cultures locales.

À l’inverse, le colonialisme indonésien s’est caractérisé par une entreprise systématique de dissimulation, de réécriture de l’histoire, et d’effacement des mémoires collectives. Dès les débuts de l’occupation, en 1963, les forces militaires indonésiennes ont organisé à Jayapura un autodafé de documents néerlandais. Dans les campagnes, des massacres de grande ampleur ont été perpétrés dans le silence le plus total. Le contrôle de l’information est resté depuis un outil central de la domination indonésienne.

Ce contrôle s’accompagne de la criminalisation de toute voix dissidente, y compris étrangère. En octobre 2014, deux journalistes français de la chaîne ARTE ont été condamnés à de la prison pour « abus de visa », alors qu’ils enquêtaient sur la situation des droits humains en Papouasie. Ce cas illustre l’opacité du régime indonésien et son refus d’une observation internationale indépendante.


L’échec du développement et la marginalisation structurelle

L’argument souvent avancé par Jakarta pour justifier sa présence est celui du développement. Or, les projets menés en Papouasie occidentale – qu’il s’agisse d’infrastructures, de migration forcée ou d’exploitation des ressources – ont davantage servi les intérêts centraux que les populations locales. L’implantation de grandes entreprises minières (comme Freeport-McMoRan), les politiques de transmigration, et l’expansion militaire ont contribué à une marginalisation socio-économique des Papous, doublée d’un racisme structurel et d’un mépris culturel profond.

Loin d’être un vecteur d’émancipation, la modernisation imposée a transformé la Papouasie en zone de conflit permanent. Le territoire est aujourd’hui l’un des plus militarisés d’Asie du Sud-Est. Les affrontements entre les forces indonésiennes et les groupes de résistance papous – souvent qualifiés arbitrairement de « terroristes » – se traduisent par des déplacements massifs de populations, la destruction d’infrastructures civiles, et une violence quotidienne normalisée.


Vers une reconnaissance du colonialisme intérieur

La situation en Papouasie occidentale impose une relecture critique du postcolonialisme. Il ne suffit pas d’avoir été colonisé pour être exonéré de toute entreprise coloniale. L’Indonésie, en refusant de reconnaître la légitimité des revendications papoues, en criminalisant la mémoire historique, et en militarisant un territoire qui ne lui a jamais été librement cédé, s’inscrit dans une logique de colonialisme intérieur comparable à d'autres formes de domination impériale moderne.

À l’heure où les discours sur la justice historique et la décolonisation refont surface sur la scène internationale, la Papouasie occidentale nous rappelle une vérité essentielle : la lutte contre le colonialisme ne s’achève pas avec l’indépendance des États, mais avec la reconnaissance effective des peuples et de leur droit à l’autodétermination.

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