Hommage à Tom Beanal, résistant Papou (1947-2023)
Le 29 mai, Tom Beanal, figure emblématique de la lutte non-violente des Papous en Indonésie, est décédé à l'hôpital St. Elizabeth de Singapour à l'âge de 76 ans.
Les Papous l'appelaient volontiers le pasteur Tom, car il était un chef religieux. Diacre catholique, Tom est toutefois très apprécié des protestants en Papouasie. C'est ce qui lui a valu le titre de "Pasteur". Tom est aussi une figure respectée des Amungmes, tribu qui vit près des mines de Freeport, l'une des plus grandes mines d'or et de cuivre au monde.
Les funérailles de Tom Beanal ont eu lieu aujourd'hui dans sa ville natale de Timika. À cette occasion, Markus Haluk, directeur exécutif du Mouvement uni de libération de la Papouasie occidentale (ULMWP), a délivré un message aux centaines de fidèles rassemblés :
Action de grâce
Merci à toi, Seigneur ! Aujourd'hui, le 3 juin 2023, nous sommes réunis ici à la cathédrale des Trois Rois, à Mimika-Papua, pour prier et accompagner le corps de notre père, Thomas (Tom) Beanal, jusqu'à sa dernière demeure. Depuis la terre d'Amungsa, nous disons au monde que l'un des principaux piliers de notre nation a été brisé. Ceci après presque treize ans de lutte (2010-2023) contre la maladie dont il souffrait, aux côtés de sa famille et de son peuple bien-aimé.
Cette maladie s'est développée entre 2004 et 2008 à la suite d'une tentative d'assassinat : un poison a été placé dans le verre d'eau qu'il a bu dans un hôtel à Jakarta. Ce poison a paralysé ses nerfs et sa mémoire et a provoqué un accident vasculaire cérébral.
Tom Beanal est un homme d'une intégrité extraordinaire : un Papou honnête, intelligent et sage. En tant que politicien, il s'est toujours rangé du côté des opprimés et des sans-voix. En tant que responsable chrétien, il ne s'est pas contenté de prêcher le Christ en chaire, mais il a marché de maison en maison, de station en station, de paroisse en paroisse à la recherche des troupeaux du Christ.
Défense de la dignité du peuple de Dieu
En 2006, il m'a raconté :
"Lorsque j'étais responsable de la pastorale à Hepuba Wamena en 1977-1979, mes paroissiens de la station de Welesi étaient menacés par les militaires de céder leur terrain pour la construction d'une mosquée. Certains d'entre eux ont été contraints de se convertir à l'islam. Je ne pouvais pas tolérer de tels mauvais traitements. Je les ai donc défendus, ce qui a conduit à mon arrestation. J'ai été détenu au commandement du district militaire 1701 à Wamena. Au même moment, ma fille est décédée subitement dans la paroisse de Hepuba. Elle a ensuite été enterrée à Wamena".
Ce récit que nous venons d'entendre n'est qu'une des horreurs vécues par le défunt lorsqu'il était responsable laïc catholique. Après plus de 20 ans au service de l'Église, le père Tom est retourné en 1991 à Amungsa, la terre de ses ancêtre
Lutte pour une Papouasie indépendante
Témoin des souffrances endurées par le peuple Amungsa face à la multinationale Freeport et à l'armée indonésienne, Tom Beanal, avec d'autres leaders papous, ont décidé d'agir en formant l'Organe consultatif coutumier d'Amungme (LEMASA). Tom a reçu le titre de grand chef "Toeri Negel".
En avril 1996, Tom Beanal, au nom de la tribu Amungme, a intenté une action collective contre Freeport devant la Cour fédérale des États-Unis. Trois allégations principales constituaient la base du procès contre FMCG (Freeport McMoran Copper and Gold Inc) :
1). Violations des droits de l'homme,
2). Atteinte à l'environnement,
3). Génocide culturel.
Être Moïse pour le peuple papou
Grâce à son charisme, Tom Beanal a pu transformer cette lutte régionale en une lutte nationale pour une Papouasie indépendante. Les réformes démocratiques de l'Indonésie en 1998 ont rendu cela possible. Avec le Dr Benny Giay, le Dr Noak Nawipa, John Rumbiak, Octovianus Mote, Agus Alua, Willi Mandowen, Theys H Eluai, Moh. Thaha Alhamid, Herman Awom, Mama Yosepa Alomang, le père Nato Gobay, le père Neles Tebay et le père Piet Matorbong (un ami proche du défunt), Tom Beanal a jeté les bases d'une réconciliation nationale et d'une lutte non-violente pour la Papouasie indépendante.
En février 1999, Tom Beanal a conduit une délégation de cent dirigeants papous pour rencontrer le président B.J. Habibie au palais présidentiel de Jakarta afin de discuter de l'indépendance de la Papouasie. Fin 1999, il est devenu, avec Theys Eluay, président de l'Assemblée consultative du peuple papou.
En juin 2000, il a été élu vice-président du présidium du Conseil du peuple papou. Et un an après l'assassinat de Theys Eluay par les forces spéciales indonésiennes, le 10 novembre 2001, Tom Beanal a été nommé président. Dans le même temps, il a également été nommé premier président du Conseil coutumier papou (DAP).
Tout comme Moïse a été témoin de la tyrannie du pharaon égyptien contre le peuple d'Israël, avec son racisme systémique, ses assassinats arbitraires, ses plans génocidaires, etc., Tom Beanal s'est retrouvé au milieu du peuple papou opprimé par le régime indonésien.
Avec l'amour qu'il avait pour son peuple, il a fait revivre la lutte des Papous, longtemps réprimée et réduite au silence, dans les jungles sauvages, sur les îles et les côtes, dans les montagnes et les pentes, dans les vallées et les marécages, ainsi que dans les grandes villes de Papouasie, et même dans les pays étrangers.
Tom Beanal a exigé que l'Indonésie reconnaisse le droit des Papous à l'indépendance, conformément au préambule de la constitution indonésienne : "L'indépendance est le droit de toutes les nations et, par conséquent, le colonialisme doit être aboli dans le monde entier." Il fit cette demande à trois reprises : au président B.J. Habibie en février 1999, au président Abdurahman Wahid en 2000 et à la présidente Megawati en 2003.
Tom Beanal est apparu sur la scène politique comme un libérateur papou. Sa lutte était fondée sur l'amour et la paix. Cela l'a poussé à prêcher la cause papoue auprès de divers groupes et dirigeants en Mélanésie, dans le Pacifique, aux États-Unis, en Europe et en Afrique. Dans ce même esprit, unissons nos voix, rectifions l'histoire de notre nation et revendiquons nos droits avec dignité.
Aujourd'hui, Tom Beanal a rendu la nation papoue présente parmi nous. Il l'a placée sur nos épaules à tous. La lutte pacifique, non-violente, ahimsa, que Tom Beanal a pratiquée, vécue et en laquelle il croyait, perdurera à jamais. Il est de notre devoir, en tant que patriotes, de la poursuivre et de l'achever.
Il faut sauver la nation Papoue !
En présence du corps du défunt, je voudrais transmettre le message suivant à chacun d'entre nous :
Premièrement : Adoptons la vision, la mission et la lutte de Tom Beanal et poursuivons-les avec dignité et responsabilité. Souvenons-nous, que nous, Papous, n'avons jamais volé, saisi, contrôlé ou occupé des terres appartenant à d'autres nations : en Indonésie, en Asie, en Europe, en Amérique, dans le Pacifique, mais nous nous battons pour défendre notre droit de naissance sur la terre que Dieu a confiée à nos ancêtres.
Deuxièmement : Aimons-nous les uns les autres, aidons nos compatriotes papous, nos semblables qui souffrent, qui sont exclus, marginalisés au point de faire l'objet d'un génocide, d'un ethnocide et d'un écocide. N'attendons pas que d'autres nations viennent comme des dieux essuyer nos larmes.
Les Papous restants, ces deux millions d'hommes et de femmes, doivent retourner à Itongo, Yamewa, Honai, Nduni, Kunume, Pilamo. Les chefs indigènes doivent construire la fraternité et défendre la dignité de tous.
Troisièmement : ne perdez jamais espoir dans la lutte et l'avenir de votre famille, de votre tribu et de votre nation Papoue. Aujourd'hui, nous voyons le soleil se coucher, Tom Beanal est parti, mais nous croyons que le soleil se lèvera à nouveau demain, depuis l'orient de la Papouasie. En 2015, lorsque j'ai rencontré le Père Tom et que je lui ai annoncé que nous nous étions unis pour former l'ULMWP (United Liberation Movement for West Papua), Il m'a dit :
"Rassemblez les sables de la mer pour en faire une montagne et de là haut criez : que les familles de Mélanésie, du Pacifique et du Monde entier voient et entendent votre souffrance et votre lutte."
Une fois de plus, je vous invite à marcher ensemble vers notre maison mélanésienne, après avoir été séparés en mai 1963. Pour cela, nous prions et jeûnons pour la lutte et le travail acharné de l'ULMWP. La Papouasie doit retourner au foyer mélanésien du MSG (Melanesian Spearhead Group), conformément à la voie tracée par Tom Beanal, Otto Ondowame et d'autres dirigeants papous. Depuis le foyer mélanésien, nous continuerons à avancer vers la grande maison de L'ONU, avant de retourner dans notre demeure, la Papouasie occidentale.
Adieu
Nous disons enfin, la tête haute :
"Adieu Tom Beanal, le Moïse de notre nation papoue. Reposez en paix dans la maison du Père qui est aux cieux. Adieu Père, Nerege, Amole. Waaaa..waaaa..waaaa.."
Amungsa, Mimika Papua, 3 juin 2023
Markus Haluk
Directeur exécutif de l'ULMWP
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