BJ Habibie et la question papoue : une exception éthique dans l'histoire indonésienne

BJ Habibie, troisième président de l'Indonésie (1998-1999)

La trajectoire politique de Bacharuddin Jusuf Habibie, troisième président de la République d’Indonésie (1998–1999), incarne un moment bref mais déterminant dans la transition post-autoritaire de l’archipel. 

En seulement dix-sept mois de mandat, cet ingénieur de formation, figure intellectuelle du mouvement musulman moderniste et président par défaut après la chute de Suharto, a su poser les bases d’un État de droit plus respectueux des droits humains — même si ces efforts restent aujourd’hui largement trahis par ses successeurs.

Parmi ses gestes les plus notables figure la décision historique d’organiser un référendum au Timor oriental en 1999. Ce choix, fait au mépris des élites militaires et nationalistes qui l’entouraient, traduisait une conception du pouvoir où la souveraineté populaire primait sur l’unité territoriale à tout prix. C’est également dans cet esprit qu’il ouvrit un dialogue direct avec une délégation de cent représentants papous, une première dans l’histoire de l’occupation indonésienne de la Papouasie occidentale. Cette rencontre de février 1999, souvent marginalisée dans les manuels officiels, fut un moment de reconnaissance symbolique de la subjectivité politique papoue.


Papouasie occidentale : le tabou de la République

Depuis l’intégration controversée de la Papouasie dans l’État indonésien en 1963, entérinée par le référendum biaisé de 1969 appelé “Acte de libre choix”, la région reste une colonie intérieure. Malgré les promesses de "dialogue" formulées sous le gouvernement de Joko Widodo, notamment l'engagement d'autoriser la visite du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme, les faits sur le terrain témoignent d'une militarisation accrue, de la criminalisation des voix dissidentes, et d'une fermeture presque totale aux observateurs internationaux.

Cette dissonance entre les discours de réforme et la brutalité des pratiques rappelle que la Papouasie constitue non seulement une “plaie” — pour reprendre les mots du père Frans Magnis Suseno — mais aussi un miroir des limites structurelles de la démocratie indonésienne elle-même. Le contrôle de l'information, la logique d'occupation, l'impunité militaire, et l'absence de volonté réelle de dialogue ne sont pas des accidents, mais les piliers d’une politique de souveraineté autoritaire, nourrie d’un nationalisme unitaire et centralisateur.


Habibie, un humaniste dans un système militariste

Ce qui distingue Habibie de ses prédécesseurs et successeurs n’est pas seulement son expertise technique ou sa foi musulmane progressiste, mais son courage éthique : celui de reconnaître la dignité humaine comme préalable à la souveraineté. Tandis que d'autres chefs d'État indonésiens ont vu la Papouasie comme un “problème de sécurité”, Habibie la concevait comme une question morale.

L’admiration que lui témoigne le père Magnis — une figure rare d’intellectuel chrétien critique du régime — est révélatrice : elle transcende les clivages confessionnels pour saluer l’émergence d’un homme d’État ayant placé la conscience au-dessus de la raison d'État. La mémoire de Habibie représente ainsi une alternative refoulée dans le récit national : celle d’une Indonésie capable de se regarder dans le miroir de ses marges, sans user de la violence pour les faire taire.


Vers un nouvel Habibie ?

À l’heure où l’Indonésie est engagée dans un nouveau cycle électoral, une interrogation s’impose : la nation indonésienne est-elle prête à élire un dirigeant qui, à l’image d’Habibie, fasse primer la vérité sur le mythe ? Peut-elle concevoir une souveraineté non coloniale, respectueuse des voix périphériques — notamment celles des peuples autochtones de Papouasie ?

La leçon d’Habibie, souvent oubliée, rappelle que l’unité nationale ne peut se construire dans le silence imposé aux minorités. L’histoire ne retient pas toujours les voix les plus bruyantes, mais celles qui ont su parler au nom des absents.

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