Papouaphobie : une maladie coloniale de l’âme indonésienne
Papouaphobie : une maladie coloniale de l’âme indonésienne |
Parmi les maux les plus profonds qui rongent l’Indonésie contemporaine, il en est un que l’on ne nomme presque jamais : la papouaphobie. C’est Natalius Pigai, ancien commissaire de la Commission nationale des droits de l'homme, qui en parle ouvertement. Lui-même Papou et victime de racisme, il a été qualifié de « primate » par une multitude de commentaires haineux sur les réseaux sociaux. Le fait qu’un haut fonctionnaire de l’État indonésien puisse être traité de la sorte en dit long sur l’état du racisme structurel dans le pays.
Mais qu’est-ce que la papouaphobie ? Si l’on se réfère à la définition classique du mot phobie, il s’agit d’une peur irrationnelle, souvent excessive, qui peut mener à des comportements hostiles ou d’évitement. En ce sens, la papouaphobie est plus qu’un simple préjugé : c’est une pathologie sociale et politique, une forme de peur viscérale déguisée en mépris collectif.
Un sondage du Wahid Institute a révélé que les groupes les plus détestés en Indonésie sont les communistes, les LGBT et les Juifs — des minorités souvent invisibles dans la sphère publique. Mais la haine envers les Papous est encore plus insidieuse car elle cible une population bien présente, bien réelle, et pourtant perçue comme étrangère, inférieure, et indésirable.
Dans les bus, les trains ou les marchés, il n’est pas rare que des passagers évitent de s’asseoir près des Papous, certains allant même jusqu’à se pincer le nez comme s’ils étaient face à une puanteur. Cette stigmatisation n’épargne aucun lieu, pas même les églises. Filep Karma, le “Mandela de la Papouasie”, racontait sur un plateau télé qu’une choriste javanaise avait plaisanté qu’en épousant un Papou, “même les singes de la forêt sauraient chanter”. Une humiliation publique, dans un lieu censé prêcher l’amour fraternel.
Ce racisme ne se limite pas à la société civile. Il est relayé, renforcé, normalisé par les élites. Des figures politiques influentes n’ont jamais été inquiétées pour avoir comparé les Papous à des gorilles, des rats, ou les avoir qualifiés de “cafés au lait” ou de “terroristes”. Ces insultes ne sont pas de simples dérapages : elles sont les symptômes d’un colonialisme mental profondément enraciné, qui refuse obstinément d’accepter la Papouasie comme une partie intégrale et égale de la République.
Le pasteur Socratez Yoman a eu ces mots terribles : vivre en Indonésie, pour un Papou, c’est vivre en enfer. Il n’y a pas de paix, pas de justice, seulement l’obscurité, la souffrance et la mort. Son témoignage rejoint celui de Barnabas Suebu, ancien gouverneur de Papouasie, qui a confessé : je regrette que la Papouasie ait rejoint l’Indonésie, car l’État discrimine ses propres citoyens.
Soixante ans après l’intégration forcée de la Papouasie, le fait est brutal : les Papous ne sont jamais devenus indonésiens aux yeux des autres Indonésiens. Ce n’est pas parce qu’ils refusent de s’intégrer, mais parce qu’on leur a refusé ce droit. La nation indonésienne, construite sur un idéal d’unité dans la diversité, trahit ce principe chaque fois qu’un Papou est traité comme un singe, un danger, ou un étranger sur sa propre terre.
La papouaphobie n’est pas une simple intolérance. C’est un symptôme de la faillite morale d’une nation qui refuse de regarder son passé colonial et son présent autoritaire. Elle est l’expression d’une peur honteuse : celle que les Papous réclament justice, vérité, et dignité.
Tant que cette peur ne sera pas reconnue, nommée, et soignée, la tragédie continuera. Mais il n’est jamais trop tard pour faire face à la vérité. Écrire sur la Papouasie, parler des Papous, c’est refuser que notre humanité sombre dans le silence. C’est affirmer que les vies noires comptent, aussi, au cœur de l’archipel.
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