Ambrosius Mulait, jeune militant Papou
Ambrosius Mulait |
En commençant par un café avec Ambrosius, mieux connu sous le nom d'Ambros, notre conversation s'est transformée en une longue discussion sérieuse :
La Papouasie est un territoire du Pacifique qui a connu de nombreux problèmes depuis son entrée dans la République d'Indonésie dans les années 60. Compte tenu de la situation actuelle, l'avenir du peuple papou est de plus en plus difficile à déterminer. Les violations des droits de l'homme sont de plus en plus fréquentes, surtout sous la présidence, depuis 2014, de Joko Widodo ou Jokowi. Les inquiétudes ou plutôt la méfiance du peuple papou à l'égard du gouvernement indonésien semblent avoir atteint un point culminant. Le développement économique dont Jokowi est si fier est souvent teinté de racisme, d'écocide et de destruction de la culture indigène papoue.
Ambrosius Mulait est un Papou de 29 ans originaire de Wamena. Il est titulaire d'une maîtrise du prestigieux l'Institut du gouvernement national (IPDN). Ambrosius Mulait vit actuellement à Jakarta. Son voyage de l'intérieur de la Papouasie à la capitale de l'Indonésie (4000 km) a été une véritable odyssée. Ambros le raconte fièrement :
"Après avoir terminé mes études secondaires à Wamena en 2012, je me suis rendu à Jayapura, la capitale de la Papouasie, avec l'intention de m'inscrire au campus de l'USTJ pour y étudier l'ingénierie informatique. Cependant, après un court séjour à Jayapura, j'ai appris que mon père était malade.
Avec l'argent de poche qu'il me restait, soit 400 000 roupies, je suis rapidement retourné à Wamena par l'avion de Trigana, mais mon père est décédé un mois plus tard. Face à cette triste situation et au contexte économique défavorable de ma famille, j'ai décidé de quitter l'université et de travailler. Cependant, ma mère m'a encouragé à poursuivre mes études.
Grâce aux économies que j'avais réalisées en vendant des nokens (sacs traditionnels papous) fabriqués par ma mère, j'ai finalement pu réunir 5 millions de roupies. Avec cet argent, je suis allée à Jakarta, car un ami proche m'avait dit que je pourrais être acceptée au Collège des sciences gouvernementales (STIPAN). Et bien sûr, j'ai rejoint ce campus et j'ai obtenu mon diplôme en 2016. J'ai terminé le programme de troisième cycle à l'Institut du gouvernement national (IPDN) en 2020.
En 2013, avec mes amis papous, j'ai commencé à participer à des actions non violentes en faveur des droits de l'homme. J'ai passé la plupart de mon temps libre au cybercafé à lire des articles de médias indépendants qui traitent de la situation réelle en Papouasie, cachée par le gouvernement indonésien.
Je me souviens que lorsque j'étais à l'école primaire, ma mère me racontait souvent les atrocités commises par les Indonésiens après l'annexion de la Papouasie en 1969, en particulier lors de l'opération militaire de Koteka en 1977, au cours de laquelle le frère de ma mère a été tué. Pour compléter les connaissances que je tenais de mes parents, j'ai commencé à consulter toutes les sources que je pouvais lire. J'ai alors réalisé l'énorme décalage entre les faits historiques et l'histoire racontée par le gouvernement indonésien dans le cadre des programmes scolaires.
Depuis leur enfance, les Papous de ma génération ont subi un lavage de cerveau pour croire les récits historiques du gouvernement indonésien, comme la gloire du royaume javanais de Majapahit à l'époque médiévale, dont la domination s'étendait jusqu'à la Papouasie, alors qu'il n'existe aucune preuve archéologique à l'appui d'une telle affirmation. On dit également que certaines personnalités papoues du XXe siècle ont lutté pour l'indépendance de l'Indonésie, alors qu'il n'en est rien.
Les mesures impitoyables prises par l'Indonésie pour annexer la Papouasie par le biais de l'opération militaire TRIKORA en 1961, puis de l'accord de New York en 1962 et enfin du simulacre de référendum de 1969, communément appelé "Acte de libre choix", sont racontées de manière à apparaître comme une histoire héroïque.
À Jakarta, j'ai dû travailler dur pour payer mes frais de scolarité. J'ai également pu constater à quel point la vie était difficile pour de nombreux habitants de la plus grande ville d'Indonésie. La misère était omniprésente. Je me suis demandé comment Jakarta pouvait promettre la prospérité aux Papous, alors que dans sa propre région, le problème de la pauvreté n'avait pas été résolu. À partir de là, j'ai commencé à comprendre que les Papous n'ont en fait besoin de rien de la part de l'Indonésie. Au contraire, c'est l'Indonésie qui a besoin des ressources naturelles de la Papouasie.
Le jargon idéologiques tel que "l'unité indonésienne est un prix fixe" ou le refrain patriotique "de Sabang (Sumatra) à Merauke (Papouasie)" n'ont rien à voir avec le nationalisme. Ils servent d'outils au régime indonésien pour perpétuer son emprise sur ceux qui veulent se libérer de la tyrannie Indonésienne.
J'ai commencé à m'intéresser aux questions relatives aux droits de l'homme en 2013, lorsque j'ai rejoint l'AMPTPI, une organisation de jeunes Papous. Depuis plus de soixante ans, le régime indonésien en Papouasie n'a jamais cessé de perpétrer des exécutions extrajudiciaires contre les Papous indigènes. Cela m'a encouragé à m'engager davantage en défendant mes compatriotes papous par le biais de manifestations et de séminaires dans toute l'Indonésie, en particulier à Jakarta.
Chaque fois qu'une manifestation avait lieu, je rédigeais un communiqué de presse, j'en imprimais des copies et je les distribuais à mes camarades étudiants et aux professeurs de l'université, afin qu'ils puissent obtenir des informations précises sur la Papouasie.
Malheureusement, cela ne m'a valu que la désapprobation de mes professeurs, dont beaucoup étaient affiliés à l'armée et au ministère de l'intérieur. À leurs yeux, je manquais de patriotisme et je ternissais la réputation de l'université. En même temps, à mes yeux, leur comportement ne reflétait pas le véritable patriotisme indonésien, mais simplement le comportement du régime au pouvoir en Indonésie. Leur nationalisme est si superficiel qu'ils aveuglent leur conscience sur le fait que les politiques du gouvernement indonésien ont entraîné tant de souffrances pour les indigènes papous.
Mais à la fin de mes études à STIPAN, un professeur qui était aussi mon mentor, M. Wesly Pandjaitan, un Indonésien de la tribu Batak, a sympathisé avec moi. Nous sommes devenus amis et, jusqu'à aujourd'hui, nous aimons toujours discuter de sujets liés à la question de la Papouasie. Je lui ai donné des livres écrits par Markus Haluk, qui est aujourd'hui le secrétaire du Mouvement uni de libération de la Papouasie occidentale (ULMWP).
Lorsque j'étudiais à l'IPDN, l'un de mes superviseurs m'a proposé de travailler à la commission de contrôle des comptes de l'État, mais j'ai refusé. J'ai préféré documenter et défendre les droits de l'homme en Papouasie. Pour moi, cela a plus de sens qu'une carrière confortable au sein d'un gouvernement corrompu.
Aujourd'hui, la population indigène papoue est déjà réduite et en voie d'extinction. Les Papous ne représentent pas plus d'un pour cent de la population indonésienne. Si personne ne s'exprime, ils seront éliminés comme les Aborigènes en Australie. La Papouasie continue de subir des conflits et l'on ne sait pas quand l'État indonésien mettra fin à cette folie.
Il est évident que la cause profonde de tous les problèmes en Papouasie est le racisme, construit et entretenu par l'État indonésien. Les Papous ont essayé de diverses manières de résister à ce racisme et le point culminant de leur résistance a été atteint en août-septembre 2019 après un incident survenu à Surabaya, la deuxième ville d'Indonésie : un dortoir d'étudiants papous a été attaqué par des masses réactionnaires et ses occupants ont été traités de "singes". Cet incident était la suite logique d'une série d'événements qui ont été occultés depuis 56 ans que la Papouasie est sous l'emprise de l'Indonésie.
Le peuple papou est souvent stigmatisé et la papuaphobie existe à tous les niveaux de la société indonésienne. La dignité des Papous n'est respectée ni par l'élite ni les Indonésiens ordinaires en général. L'antipathie de nombreux Indonésiens à l'égard des Noirs n'est pas nouvelle. Plusieurs incidents racistes se sont produits dans les années 1960 et 1980.
Bien que l'Indonésie ait déclaré son indépendance en 1945, la discrimination raciale ou ethnique n'a pas disparu après trois siècles de racisme systémique dû à la domination coloniale néerlandaise. Sous la présidence du général Suharto (1967-1998), communément appelé l'Ordre nouveau, les Papous, mais aussi les Chinois d'Indonésie, ont fait l'objet de discriminations et ont souvent été pris comme boucs émissaires, considérés comme un groupe parasite qui ne savait qu'engranger des profits.
À l'ère des réformes démocratiques qui ont suivi la chute de Suharto, le président Abdurrahman Wahid ou Gus Dur a cherché à déstigmatiser les minorités, en particulier les communautés chinoise et papoue. Sous l'administration de Gus Dur, les Chinois sont reconnus comme des autochtones indonésiens. Les aspirations des Papous ont été prises en compte et le drapeau papou de l'Étoile du matin a été autorisé à flotter. Malheureusement, cela n'a pas duré après la démission de Gus Dur en 2001.
Le peuple papou subit un long génocide, lentement mais sûrement. C'est pourquoi, en août et septembre 2019, les Papous ont spontanément et à l'unisson mené des actions dans des dizaines de villes à travers l'Indonésie. J'ai moi-même participé à une manifestation pacifique à Jakarta. Le drapeau papou de l'Étoile du matin à été hissé devant le palais présidentiel, devant le drapeau rouge et blanc indonésien.
Pour les autorités indonésiennes, il s'agissait d'une provocation et j'ai été arrêté avec plusieurs collègues, dont Surya Anta. Il a été le premier Indonésien à être fait prisonnier politique pour avoir soutenu une Papouasie indépendante. Aujourd'hui, il y a de nombreux "Surya Antas". Les jeunes Indonésiens sont de plus en plus conscients des pratiques colonialistes de l'État indonésien en Papouasie.
Lorsque nous étions détenus par la police métropolitaine dans le centre de détention terroriste Mako Brimob Kelapa II, Mme Yenny Wahid, fille du président Gus Dur, nous a rendu visite en nous proposant de devenir notre garant de caution. Au cours de la discussion, Yenny a demandé des suggestions sur les personnes qui pourraient être cautions, et nous avons proposé les noms du révérend Beny Giyay et du révérend Socrates Yoman. Entre-temps, Yenny a demandé à Surya Anta de présenter son garant. J'ai réprimandé Yenny et je l'ai renvoyée : "Êtes-vous ici pour nous tirer d'affaire ou pour nous séparer du camarade Surya ? Madame, Surya et nous avons été arrêtés parce que les Papous ont des problèmes. Vous ne pouvez pas nous séparer les uns des autres !" Bien que nous ayons eu droit à du riz au poulet de McDonald's... cela s'est terminé par un refus de ma part. Yenny a également demandé des photos, que j'ai interdites parce que je me sentais manipulé.
Lors d'une audience au tribunal de district de Jakarta Centre, j'ai été accusé de trahison. Ce n'est pas une accusation anodine. C'est pourquoi, pendant le procès, j'ai toujours veillé à préserver ma dignité, celle de ma famille et de mon peuple. J'ai eu la chance d'être accompagné par de nombreux avocats de plusieurs équipes de défense telles que LBH Jakarta, YLBHI, Kontras, de nombreux sympathisants étaient egalement présents.
Des Papous, officiers des services de renseignement indonésiens, ont également observé le procès. Ils m'ont proposé d'être candidat au DPRD de la circonscription de Jayawijaya sans avoir à me présenter aux élections. Mais j'ai refusé catégoriquement leur offre. Il y avait eu de nombreuses opérations militaires dans la région : des indigènes papous avaient été tués par des soldats indonésiens et je ne voulais pas être impliqué et avoir leur sang sur les mains. De nombreux fonctionnaires indonésiens ont bénéficié de mon cas et de celui d'autres activistes papous. Les agents de la sécurité de l'État qui nous ont arrêtés ont tous été promus. Entre-temps, mes amis et moi avons été emprisonnés pendant neuf mois.
N'ai-je jamais été tenté d'abandonner cette lutte ? Absolument pas ! Si mon engagement n'était pas sérieux, j'aurais pu être tenté par des offres de postes et d'autres privilèges. Cependant, ma conscience m'a toujours ordonné de rester fidèle et honnête. En fait, il y a une offre qui peut me tenter, que l'Indonésie admet ses fautes et présente ses excuses au peuple papou en lui accordant le droit à l'autodétermination. Mais je doute que le gouvernement indonésien puisse s'humilier à ce point.
J'ai choisi de me battre sans coopérer avec le gouvernement indonésien. Cependant, j'apprécie toujours tous les Papous qui se sont battus dans le cadre de la République d'Indonésie, comme feu Filep Karma, un authentique fonctionnaire. Pour lui, l'indépendance de la Papouasie n'est rien d'autre que la réalisation du préambule de la constitution indonésienne qui dit que "l'indépendance est le droit de toutes les nations et pour cette raison, tout colonialisme dans le monde doit être aboli...". En d'autres termes, la colonisation de la Papouasie par l'Indonésie doit cesser, au nom même de la dignité de l'État indonésien."
Merci à Ambrosius pour son témoignage bouleversant. Il nous montre que certains sont prêts à tout perdre pour la liberté des Papous et le respect de leur vie.
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