Papouasie chrétienne face à l’islamisation d’État indonésien

Sukarno, premier président indonésien (à droite) avec IJ Kasimo, chef du parti catholique indonésien (à gauche).

L’histoire de l’Indonésie moderne ne peut être racontée sans reconnaître la contribution décisive de ses minorités religieuses, notamment chrétiennes. 
Dès les premiers instants de la lutte anticoloniale, les figures chrétiennes indonésiennes ont été des architectes discrets mais fondamentaux de l’édifice national. 


Sur la célèbre photographie d’époque, Sukarno, premier président de la République d’Indonésie, pose à côté de IJ Kasimo, éminent homme politique catholique et fondateur du Parti Catholique indonésien. Cette image emblématique illustre une vérité historique trop souvent occultée : la fondation de l’État indonésien fut également l’œuvre des chrétiens.

Et pourtant, depuis l’indépendance proclamée en 1945 jusqu’à l’ère contemporaine de Joko Widodo, les structures de l’État indonésien n’ont cessé de consolider la suprématie de l’islam comme religion privilégiée. L’islamisation institutionnelle de l’État indonésien n’est pas simplement une réalité sociologique, mais une orientation politique, manifeste dans l’architecture même des politiques publiques et du budget national.

En effet, la construction de mosquées bénéficie d’une facilité administrative et logistique que ne connaissent pas les autres confessions. Tandis que l’octroi de permis pour l’édification d’églises est souvent bloqué sous pression sociale ou bureaucratique, les mosquées prolifèrent y compris dans les enceintes publiques — commissariats, casernes militaires, mairies — même dans des régions à majorité non-musulmane comme la Papouasie.

Le ministère des Affaires religieuses, dont le budget dépasse largement celui d’autres ministères clés comme celui des Transports, consacre une part considérable de ses ressources à l’encadrement et à la promotion de l’islam. Il administre des pèlerinages à La Mecque, supervise la collecte de la zakat (aumône islamique), certifie les produits halal et gère un réseau d’universités islamiques d’État ainsi que des tribunaux religieux. Ce maillage institutionnel illustre une volonté claire de faire de l’islam non seulement la religion dominante, mais aussi la religion d’État de fait.

Cette tendance s’est accentuée avec l’adoption de lois à caractère religieux, comme la loi anti-pornographie de 2008, portée par des groupes islamiques radicaux. Cette loi a servi de catalyseur à l’émergence de réglementations locales fondées sur la charia dans plusieurs provinces, brouillant davantage la frontière entre État laïque et État religieux. L’Indonésie, officiellement pluraliste, semble ainsi glisser vers un modèle de nation confessionnelle.

La Papouasie, territoire chrétien par excellence annexé par Jakarta dans les années 1960 à la suite de l’Opération Trikora et du très contesté Acte de Libre Choix de 1969, n’a pas échappé à cette logique d’islamisation. Ce processus est visible dans la multiplication des infrastructures islamiques, mais aussi dans l’importation de normes culturelles étrangères aux traditions locales. En 1962, Jayapura ne comptait qu’une seule mosquée. Aujourd’hui, on en recense plus de 260. La coïncidence entre présence militaire, colonisation démographique javanaise-musulmane et prolifération de mosquées révèle une stratégie implicite de transformation religieuse du territoire.

La situation est d’autant plus inquiétante que la destruction des églises est un phénomène régulier en Indonésie, avec plus de 2400 églises détruites ou vandalisées depuis 1945. Ces attaques, rarement punies, témoignent de l’impunité dont jouissent les acteurs de la violence confessionnelle, ainsi que de la complicité tacite des autorités.

La Papouasie se prépare à commémorer, en 2055, les deux siècles de l’arrivée des premiers missionnaires protestants allemands, Ottow et Geissler. Pourtant, la question brûlante reste entière : ce territoire conservera-t-il encore son identité chrétienne dans les décennies à venir, ou les croix des montagnes papoues seront-elles remplacées par des croissants ? Le bicentenaire de l’évangélisation papoue risque alors de ne plus être qu’une relique mémorielle dans une province transformée en avant-poste de l’islam majoritaire.

Il est temps de poser la question de la justice religieuse en Indonésie. L’oubli de la contribution historique des chrétiens à la nation, doublé d’une marginalisation progressive dans la vie politique, sociale et culturelle, constitue une injustice historique qu’il est urgent de réparer. Il ne s’agit pas d’opposer les religions, mais de réclamer un pluralisme réel, garanti par l’État, au lieu d’un pluralisme de façade dominé par une religion d’État déguisée.


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