Dieu est-il mort en Indonésie ? L'Église face à sa trahison évangélique

Friedrich Nietzsche (1844-1900).

 « Dieu est mort ! »

Friedrich Nietzsche, le philosophe allemand du XIXe siècle, lançait cette phrase-choc en réaction à l’hypocrisie qu’il percevait chez les chrétiens de son époque, notamment leurs dirigeants, souvent éloignés des valeurs qu’ils prétendaient défendre.

Bien que je ne sois pas admirateur de Nietzsche, je constate avec tristesse que sa formule pourrait s’appliquer aujourd’hui à l’Église d’Indonésie.


Une Église aux prises avec un régime contesté

L’Indonésie vient d’élire Prabowo Subianto, ancien général suspecté de crimes contre l’humanité durant la dictature de Soeharto (1967-1998). Or, l’Église indonésienne continue d’afficher un soutien sans faille au régime en place, malgré ce passé lourd.

Avant d’approfondir, il convient de poser le contexte.


L’Indonésie, un géant en mutation

Avec ses 17 000 îles et 280 millions d’habitants répartis en 1 300 ethnies, l’Indonésie est la plus grande nation musulmane au monde, avec 85 % de musulmans sunnites. Le pays, indépendant depuis 1945, s’appuie sur le Pancasila, idéologie officielle prônant l’égalité entre toutes les croyances.

Toutefois, la montée du conservatisme islamique et les lois inspirées par la charia ont renforcé un climat d’intolérance, menaçant la liberté des minorités religieuses, dont les catholiques.

Malgré la visite du pape François en 2024, l’Indonésie s’oriente vers un régime à tonalité autoritaire et religieuse, comme l’alerte Human Rights Watch et plusieurs ONG chrétiennes[1].


Les catholiques : minorité fidèle mais vulnérable

La communauté catholique représente environ 3 % de la population, soit 9 millions de fidèles. Historiquement, elle s’est engagée dans la construction nationale, incarnée par Mgr Albertus Soegijapranata, premier évêque indonésien, qui prônait un catholicisme « 100 % catholique, 100 % indonésien ». Ce double engagement souligne la volonté d’intégration, mais aussi la complexité d’être minoritaire dans un pays majoritairement musulman.


Patriotisme ou compromis ?

Or, ce patriotisme affiché sert aussi à justifier un silence ou une complaisance envers le pouvoir. Ainsi, lors de l’élection présidentielle de février 2024, les évêques indonésiens ont modifié le calendrier liturgique pour permettre aux catholiques de voter, au lieu de demander un report de l’élection par respect pour les pratiques religieuses.

Selon une enquête, 60 % des catholiques ont voté pour Prabowo Subianto, malgré son passé controversé. Ce choix illustre une certaine « lâcheté » ou « servilité » dénoncée par le père Yusuf Bilyarta Mangunwijaya, prêtre catholique indonésien qui critiquait l’Église complice des pouvoirs corrompus[2].


Le silence complice face aux massacres

L’Église indonésienne s’est tue lors de plusieurs massacres d’envergure :

  • L’élimination de plus de 500 000 personnes accusées de communisme en 1965-66,
  • Le massacre de 200 000 Est-Timorais sous occupation indonésienne,
  • Et plus récemment, le conflit en Papouasie occidentale, où près de 500 000 Papous ont péri depuis 1963[3].

Malgré ces drames, la hiérarchie catholique indonésienne se contente d’appels à la paix sans jamais dénoncer les racines de ces violences, notamment l’annexion contestée et les violations des droits humains en Papouasie.


Papouasie occidentale : une tragédie oubliée

Cette région riche en ressources naturelles est pourtant dévastée par une répression brutale et une politique de colonisation interne qui dilue la population papoue. L’Église indonésienne, en refusant de soutenir le droit à l’autodétermination, sacrifie la justice au nom d’un nationalisme étroit, alors même que la grande majorité des Papous sont chrétiens.

Mgr Léo Laba Ladjar a publiquement défendu la position du gouvernement contre les indépendantistes papous, illustrant cette subordination de l’Église à l’État[4].


L’Église face à sa vocation prophétique

Le Catéchisme de l’Église catholique rappelle que « l’Église est appelée à défendre la justice et la paix, à soutenir les droits humains, en particulier ceux des plus faibles » (CEC §2419). Le concile Vatican II, dans Gaudium et Spes, affirme que l’Église « ne peut s’associer à aucune forme d’oppression ou d’injustice » (GS 76).

L’attitude prudente voire complaisante de l’Église indonésienne trahit cette vocation. Sous prétexte de protéger ses fidèles face à l’islamisme radical, elle adopte une posture de moindre mal qui, à terme, désavoue la mission même du christianisme.

Comme le souligne le pape François dans son encyclique Fratelli Tutti, l’Église doit être « un ferment de fraternité et de justice sociale, surtout dans les situations où les droits des peuples sont bafoués »[5].


« Vous êtes le sel de la terre » (Mt 5:13)

Si le sel perd sa saveur, il ne sert plus à rien. L’Église indonésienne est aujourd’hui en risque de perdre cette saveur, ce rôle prophétique qui consiste à dénoncer le mal, défendre les opprimés et témoigner de l’amour de Dieu.

La fidélité à Dieu et la fidélité à César ne peuvent être égales, comme le rappelait déjà le Christ. Cette complicité tacite avec un régime autoritaire et répressif ne peut qu’éloigner l’Église de sa mission première.


En conclusion

L’Église indonésienne est à un carrefour historique. Elle doit choisir entre une loyauté politique qui la met en porte-à-faux avec son Évangile, ou retrouver son courage prophétique en dénonçant les injustices, en particulier celles subies par les Papous, et en incarnant pleinement l’amour du prochain.

Ce choix conditionnera non seulement son avenir mais aussi la crédibilité de la foi chrétienne dans ce pays si complexe.


Références

[1] Human Rights Watch, Rapport Indonésie 2022 ; Aide à l’Église en Détresse, 2023.

[2] Y. B. Mangunwijaya, La prière et la résistance, 1990.

[3] Amnesty International, Violations des droits humains en Papouasie, 2020.

[4] Déclaration publique de Mgr Léo Laba Ladjar, conférence des évêques du Pacifique, 2016.

[5] Pape François, Encyclique Fratelli Tutti, 2020.

Catéchisme de l’Église catholique (CEC), Vatican II, Gaudium et Spes (GS).

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