Jokowi, l’icône qui sent le soufre : la corruption au sommet et le sang en Papouasie

Selon Talleyrand, ce vieux renard de la diplomatie française, « il y a quelque chose de pire que la calomnie : la vérité ». 

Les Indonésiens en ont eu un avant-goût amer fin 2024, quand l’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) a sélectionné leur bien-aimé ex-président Joko Widodo, dit Jokowi, comme l’un des dirigeants les plus corrompus du monde. Rien que ça.

L’homme qu’on surnommait jadis "l’homme du peuple" a donc rejoint un club très sélect : William Ruto du Kenya, Bola Ahmed Tinubu du Nigeria, Hasina du Bangladesh, et même le sinistre Bachar el-Assad. Un casting de rêve pour une tragédie bien réelle. Pour beaucoup d’Indonésiens, le choc fut rude. Mais le vernis craque. Les langues se délient, les internautes s’énervent, et certains réclament enfin une enquête sérieuse sur les magouilles du monarque en chemise blanche.

Mais pour les Papous occidentaux ? Aucun choc. Aucun étonnement. Juste une confirmation de ce qu’ils vivent — ou plutôt survivent — depuis plus de soixante ans de colonisation indonésienne.

Le journaliste papou Victor Mambor, dans un message publié le 1er janvier 2025 sur X, rappelle qu’il avait interviewé Jokowi en 2015 à la prison d’Abepura. Son verdict ? « Il ne connaissait absolument rien à la Papouasie. » Et pire encore : il ne savait pas comment gouverner, point. Mais dès que les oligarques l'ont flairé, Jokowi a vite compris qu’on pouvait faire carrière sur le dos des Papous, surtout s’ils saignent en silence. Il a alors trouvé sa voie : bâtir une dynastie familiale, en échangeant dignité contre développement de façade et selfies dans les jungles papoues.

Markus Haluk, du Mouvement de libération de la Papouasie occidentale (ULMWP), résume cruellement le bilan : Jokowi ? Un touriste humanitaire qui a fait vingt-quatre voyages en Papouasie... pour remplir son album photo, pas pour changer quoi que ce soit.

Et qu’a changé Jokowi ? Davantage de soldats, plus de sang, plus d’exils. Les opérations militaires se sont intensifiées, les arrestations arbitraires se sont multipliées. Victor Yeimo, figure du Comité national de Papouasie occidentale (KNPB), l’a accusé d’avoir sacrifié les Papous « pour engraisser une caste de bureaucrates corrompus de Jakarta ».

Feu Filep Karma, emblème de la résistance pacifique papoue, mort en 2022, qualifiait Jokowi de tyran, coupable d’avoir emprisonné 6 000 Papous pour des actes aussi dangereux que... brandir un drapeau ou chanter un hymne.

Et que dire d’Ambrosius Mulait, ancien prisonnier politique ? Il l’a traité d’escroc, de criminel de guerre, responsable du déplacement forcé de plus de 78 000 Papous. Tout ça, sous le regard complice d’une élite qui continue de parler de « développement ».

Pendant ce temps, l’oligarchie indonésienne — celle-là même qui tient les ficelles — a pu piller les terres papoues, paver les montagnes de béton, et forer les rivières sacrées à coup de bulldozers et de bénédictions officielles. Jokowi ? Il n’a pas seulement laissé faire. Il a déroulé le tapis rouge.

Alors oui, que Jokowi figure parmi les dirigeants les plus corrompus du monde ne devrait choquer personne — du moins pas ceux qui regardent la Papouasie dans les yeux. Si cette reconnaissance internationale peut servir à quelque chose, ce serait peut-être à arracher le masque d’humanisme soft que l’Indonésie colle sur sa brutalité coloniale.

Car la vraie corruption ne se mesure pas qu’en milliards. Elle se mesure en vies brisées, en peuples invisibilisés, en vérités enterrées sous les discours de façade. Et de ce point de vue, Jokowi n’est pas seulement corrompu : il est le visage souriant d’un système qui saigne la Papouasie à blanc.

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