Colonisation verte : quand Jakarta piétine la Papouasie au nom du développement

James C. Scott, dans son œuvre incontournable L’Œil de l’État, l’avait dénoncé avec lucidité :

Les États modernes, obsédés par l’ordre et la domination, écrasent la complexité des sociétés humaines pour les rendre “lisibles” — c’est-à-dire dociles, contrôlables, exploitables.

Sous couvert d’efficacité, ils effacent, uniformisent, déracinent. Ils réduisent des peuples entiers à des lignes sur une carte, à des chiffres dans des rapports. Ils appellent cela “développement”, mais c’est une guerre. 

Une guerre froide, technocratique, coloniale. Tout ce qui échappe à leur logique de contrôle est désigné comme “retard”, “sous-développement”, “anomalie”. Et alors, on rase. On bétonne. On impose. Ce n’est pas de la gouvernance. C’est une entreprise de domination!

Et ce front, aujourd’hui, c’est Merauke, en Papouasie. Là où les bulldozers de l’État indonésien ne construisent pas : ils occupent. Là où les “food estates” ne nourrissent personne : ils affament les âmes. Ils remplacent le sagou par du riz, la forêt par des clôtures, les esprits par des statistiques. Ce n’est pas une erreur de politique. C’est un projet politique. Un projet colonial !

Au nom de la “sécurité alimentaire nationale”, Jakarta veut transformer deux millions d’hectares de terres papoues en zones agricoles industrielles. Une folie. Une violence d’État planifiée. Car ici, il ne s’agit pas seulement de cultiver du riz — il s’agit de rayer de la carte un peuple, une culture, une écologie.

Les Papous ne sont ni Indonésiens d’origine, ni riziculteurs. Ils sont mélanésiens, chasseurs-cueilleurs, enfants de la forêt, dont le sagou est l’âme et le pain quotidien. Détruire leurs palmeraies pour y planter du riz, c’est détruire leur identité. C’est imposer une norme étrangère, javanaise, au nom d’un modèle de développement colonial. Oui, colonial — car que fait Jakarta sinon ce que toute puissance coloniale a toujours fait ? Prendre, dominer, exploiter.

Et ce n’est pas un cas isolé. On a vu les mêmes ravages à Kalimantan : forêts détruites, communautés expulsées, échecs agricoles cuisants. Mais l’État persiste. Pourquoi ? Parce que les autochtones ne comptent pas. Parce qu’ils sont tenus à l’écart, effacés des décisions qui les concernent.

James C. Scott avait raison. Ce que l’État appelle “lisibilité”, c’est en fait une stratégie de domination. Ce que l’État appelle “développement”, c’est souvent un programme d’effacement culturel.

Assez ! L’heure n’est plus à la modération. L’Indonésie doit cesser ses projets néocoloniaux en Papouasie. Ce n’est pas de riz dont les Papous ont besoin, c’est de liberté, de respect, et du droit sacré de vivre sur leur propre terre.

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