L’ombre de Prabowo sur la Papouasie : un peuple à l’aube de sa disparition
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Manifestants papous affrontent la police indonésienne, Jakarta, 1er décembre 2024. Photo : Ambrosius Mulait. |
« L’Histoire ne se répète pas, elle bégaie. » – Karl Marx
Le 20 octobre 2024, l’Indonésie a tourné une page – mais vers quelle époque ? Avec l’investiture de Prabowo Subianto à la présidence, le pays semble renouer avec les heures sombres de son passé autoritaire. Ancien général des forces spéciales, gendre de Soeharto, Prabowo ne cache ni ses ambitions, ni son héritage.
À peine cent jours après son arrivée au pouvoir, le ton est donné : Amnesty International recense déjà 17 exécutions extrajudiciaires imputables à l’armée et à la police. La Commission KontraS en dénombre 136 cas de torture. Une loi controversée sur la « double fonction » de l’armée entérine son retour dans la sphère civile. Tout cela sous les regards distraits d’une communauté internationale bien peu pressée d’intervenir.
Mais pour la Papouasie occidentale, cet autoritarisme n’a rien d’une nouveauté. Il prolonge une tragédie ancienne, discrète et sanglante.
Papouasie : une colonie qui ne dit pas son nom
Depuis l’annexion de la région par l’Indonésie en 1963, suite au simulacre référendaire de « l’Acte de libre choix », la Papouasie vit sous une occupation militaire permanente. En six décennies, on estime que plus de 500 000 Papous ont perdu la vie. Et pourtant, le monde détourne les yeux. Pourquoi ? Peut-être parce que les Papous ne crient pas assez fort. Ou peut-être parce que leur sort dérange des intérêts trop puissants.
Aujourd’hui, les alarmes sont au rouge : militarisation accrue, transmigration de colons javanais à grande échelle, mégaprojets agricoles démesurés. Le plan de développement d’un million d’hectares de rizières à Merauke nécessitera, à lui seul, deux millions de travailleurs venus d’ailleurs. À terme, c’est l’effacement démographique pur et simple de la population autochtone.
Colonisation verte et extraction brune
La Papouasie est un territoire d’une richesse inouïe : forêts primaires, minerais, biodiversité unique. C’est aussi une terre convoitée. Cinq millions d’hectares de forêts – l’équivalent de la Suisse – sont en passe d’être convertis en plantations de palmiers à huile ou de canne à sucre. Sous prétexte de développement, c’est un modèle colonial d’extraction qui se poursuit.
On envoie des soldats – aujourd’hui plus de 50 000 selon l’Institut d’aide juridique de Papouasie – pour mater toute contestation. Un militaire pour cent habitants. Et les résistances, logiquement, se durcissent. La violence ne naît pas du néant. Elle est la réponse à un système structuré d’injustice.
Une issue étouffée, un dialogue inachevé
Et pourtant, le dialogue avait une fois été possible. En 1999, l’« Équipe des Cent » – représentants papous – fut reçue par le président Habibie. L’espoir d’une résolution par la parole était né. Mais l’élan a été tué dans l’œuf.
Depuis, les appels du Réseau Papouasie pour la Paix (JDP), fondé par le regretté père Neles Tebay, résonnent dans le vide. Les quatre racines du conflit identifiées par l’Institut indonésien des sciences (LIPI) – confusion historique, racisme, violations des droits humains, développement excluant les Papous – demeurent intactes. Pire : elles s’enracinent davantage.
Le rôle de l’Église et de la communauté internationale
En tant que catholique, je m’interroge : que peut faire l’Église face à ce silence meurtrier ? Elle peut, au minimum, briser le silence. La Papouasie n’est pas une affaire intérieure indonésienne : elle est un problème international. Et c’est à ce titre qu’elle doit être abordée – avec un tiers neutre. Le Saint-Siège, fort de son autorité morale et diplomatique, pourrait incarner ce rôle.
Par ailleurs, face à l’exode massif des populations, la visite urgente de la Commission des droits de l’homme de l’ONU est indispensable. En décembre 2024, Human Rights Monitor recensait plus de 85 000 civils déplacés à travers la Papouasie. Une telle crise humanitaire mérite au moins l’attention accordée à d’autres conflits du globe.
Un peuple au bord du gouffre
Aujourd’hui, en Papouasie, l’urgence n’est pas seulement humanitaire. Elle est existentielle. Il ne s’agit plus seulement de défendre des droits, mais de prévenir une disparition. Et cette fois, l’Histoire ne pourra pas dire : nous ne savions pas.
Alors, que faisons-nous ?
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