Au-delà des murs : pour une sainteté sans frontières

Au-delà des murs : pour une sainteté sans frontières

Cet article plaide pour une Église plus attentive aux figures de sainteté issues des peuples marginalisés — celles et ceux que l’histoire officielle ignore trop souvent.

La sainteté n’est pas l’apanage exclusif de ceux qui portent le nom de l’Église catholique. À travers l’histoire et jusqu’à nos jours, des hommes et des femmes, parfois inconnus des institutions ecclésiales, ont incarné par leur vie et leur engagement les plus hauts idéaux de foi, d’amour, de justice et de résistance non-violente.

Parmi eux, la figure d’Angganeta Menufandu, une femme papoue du début du XXe siècle, éclaire d’une lumière nouvelle notre conception de la sainteté.


Rencontre avec la foi et émergence d’une résistance

Née à la fin du XIXe siècle dans l’archipel de Biak, au large de la Papouasie, Angganeta Menufandu grandit dans une société encore très ancrée dans ses croyances traditionnelles. Lorsque les missionnaires chrétiens néerlandais et allemands arrivèrent dans la région, apportant l’Évangile ainsi qu’un mode de vie nouveau, elle fut l’une des premières femmes à s’y intéresser.

Cependant, Angganeta ne se contenta pas d’accepter passivement l’enseignement des missionnaires. Elle intégra l’esprit d’amour, de justice et de paix du message chrétien, tout en le reconfigurant à la lumière de sa propre culture et des aspirations profondes de son peuple. Refusant la soumission à l’ordre colonial imposé par les autorités néerlandaises, elle forma une communauté spirituelle alternative où le partage, la solidarité et la dignité humaine étaient des valeurs centrales.


La mouvance Koreri : un espoir messianique papou

Au cœur de sa résistance spirituelle se trouve la tradition Koreri, Selon l'anthropologue Freerk C. Kamma,

« la tradition Koreri incarne un espoir messianique et une forme de résistance spirituelle des Papous face au colonialisme, révélant une quête profonde de justice et de liberté ». 

Cette perspective éclaire la figure d’Angganeta Menufandu comme une expression vivante de cette lutte spirituelle et sociale, qui dépasse les frontières institutionnelles de l’Église.

Ce mouvement, ancré dans la culture papoue, est souvent négligé ou mal compris par les autorités coloniales et missionnaires. Koreri n’était pas simplement une révolte politique, mais une prophétie collective qui articulait la souffrance, l’espérance et la libération d’un peuple colonisé.

Angganeta s’appuya sur cette tradition pour encourager une résistance non violente : elle enseigna à ses disciples à ne pas répondre à la violence par la violence, mais à maintenir une posture de dignité et de foi, fidèle à leurs racines culturelles et spirituelles.


Résistance sous l’occupation néerlandaise et japonaise

Sous l’occupation néerlandaise, malgré le caractère strictement non violent de Koreri, les autorités tremblaient devant la simple idée d’un soulèvement. Leur peur était infondée : pour Angganeta, verser du sang « bloque le chemin vers le Koreri », ce moment d’espoir et de renouveau.

Ce refus de la violence se manifeste puissamment quand le drapeau tricolore hollandais, symbole du pouvoir colonial, est retourné et transformé par l’ajout de l’Étoile du Matin et d’une croix — un acte clair de renversement spirituel et politique, annonçant l’avènement du royaume de Dieu en Papouasie.

Deux décennies plus tard, ce drapeau allait devenir la source d’inspiration du drapeau national de la Papouasie occidentale, porté fièrement lors de sa brève indépendance, juste avant son annexion par l’Indonésie en 1963.

Avec le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale et l’arrivée des troupes japonaises dans l’archipel, la répression se durcit.

Les Japonais, redoutant toute organisation populaire autonome, mirent fin brutalement à la résistance d’Angganeta. Arrêtée en 1943, elle fut exécutée sans procès, devenant une martyre silencieuse de la lutte pour la dignité et la liberté.


Une sainteté universelle, au-delà des frontières confessionnelles

L’enseignement biblique rappelle que « Dieu n’est pas Dieu des morts, mais des vivants » (Luc 20,38), et que la sainteté est un appel universel : « Vous êtes saints, car je suis saint » (1 Pierre 1,16). L’Esprit Saint agit où il veut, souvent en dehors des cadres institutionnels que nous connaissons.

Le Concile Vatican II, dans la 'Lumen Gentium' (§ 39), affirme que la sainteté est un « patrimoine commun de tous les fidèles », et que « la vraie sainteté consiste dans la charité qui remplit tout ». Ce charisme peut se manifester dans diverses cultures, confessions et situations, même en marge ou en dehors de l’Église visible.

Des figures comme Angganeta, Gandhi, Martin Luther King Jr., Desmond Tutu ou encore Nelson Mandela incarnent des appels prophétiques à la justice et à la paix, souvent en dehors de l’Église institutionnelle.


Ouvrir la porte à la canonisation des figures non catholiques

Ouvrir le processus de canonisation aux témoins de sainteté issus d’autres traditions ou en marge de l’institution catholique serait un geste d’humilité, conforme à l’esprit œcuménique de Vatican II. Ce serait aussi un encouragement à la reconnaissance du travail de l’Esprit dans toute l’humanité.

La Déclaration sur la liberté religieuse (Dignitatis Humanae) rappelle la nécessité de respecter et d’écouter la vérité présente dans les autres confessions et cultures. Reconnaître la sainteté en dehors des frontières catholiques enrichirait notre compréhension de l’universalité de l’Évangile.

Proposer une canonisation contextuelle pour une figure comme Angganeta Menufandu, c’est faire un pas de plus vers une Église qui écoute ses marges, qui reconnaît la voix de l’Esprit non seulement à Rome, mais aussi au pied des montagnes sacrées, là où les peuples luttent pour vivre debout.

Il est temps pour l’Église de dépasser ses murs et d’embrasser la sainteté universelle.


Références

  • Kamma, Freerk C. Koreri: Messianic Movements in the Biak-Numfor Culture Area. The Hague: Martinus Nijhoff, 1972.
  • Rutherford, Danilyn. Raiding the Land of the Foreigners: The Limits of the Nation on an Indonesian Frontier. Princeton University Press, 2003.
  • Archives des missions protestantes et rapports de terrain au début du XXe siècle.
  • Traditions orales du peuple Biak.

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