L’émancipation des Papous : un cri pour la dignité dans l’écho de Lumumba
Par-delà les mers et les décennies, un même souffle de liberté unit les peuples opprimés. En Papouasie occidentale comme au Congo belge, l’histoire coloniale n’est pas seulement une question de domination territoriale, mais une lutte acharnée pour l’affirmation de l’humanité face à la négation systémique. Ce combat, que Patrice Lumumba avait cristallisé en un discours d’indépendance devenu légendaire, trouve aujourd’hui une résonance poignante dans le cri des Papous pour la dignité et la souveraineté.
30 juin 1960. Le monde assiste, médusé, à la naissance du Congo indépendant. Au cœur de la cérémonie officielle, un homme, droit dans ses convictions, bouleverse l’ordre établi : Patrice Lumumba. En quelques minutes, il fait voler en éclats les faux-semblants de la colonisation civilisatrice. Son discours, brûlant, sans concessions, refuse le silence poli des dominés. Il nomme les humiliations, les souffrances, les meurtres. Il proclame, à la face du monde, que l’indépendance n’est ni un cadeau ni un arrangement, mais une conquête. Et qu’avec cette conquête s’ouvre un nouvel horizon : celui d’un peuple debout, maître de sa destinée.
Soixante-cinq ans plus tard, ce souffle de résistance traverse l’océan Indien et vient s’ancrer sur les rivages de la Papouasie occidentale. Car là aussi, un peuple lutte. Là aussi, des hommes et des femmes résistent, dans le silence assourdissant des grandes puissances. Là aussi, on refuse de vivre à genoux.
La Papouasie occidentale, annexée en 1963 à l’Indonésie par le biais de l’« Acte de libre choix » – un simulacre de consultation sous surveillance militaire – vit depuis une histoire de dépossession systémique. Son intégration forcée n’a pas été l’œuvre d’un dialogue démocratique, mais le produit d’une géopolitique cynique. Depuis lors, les Papous vivent l’expérience crue de la marginalisation : expropriés, déplacés, stigmatisés, souvent assassinés. Leur terre, riche en ressources – cuivre, or, gaz – est exploitée sans retour pour ses habitants. Leur culture, leurs langues, leurs spiritualités sont reléguées à la marge, parfois criminalisées.
À l’image du Congo sous le joug belge, la Papouasie reste aujourd’hui une colonie intérieure, une zone d’ombre dans l’imaginaire d’une République qui se prétend unie mais qui étouffe ses périphéries. Les Papous, comme les Congolais d’hier, ne demandent pas la charité de l’intégration : ils réclament la justice de la reconnaissance. Ils ne veulent pas d’un siège subalterne à la table des nations : ils exigent de parler au nom de leur propre histoire.
Ce parallèle n’est pas une coïncidence. Il révèle une vérité plus profonde : l’expérience coloniale est universelle dans ses mécanismes de domination, mais unique dans les formes de résistance qu’elle engendre. Patrice Lumumba, en invoquant l’unité, la dignité et la justice, n’appelait pas seulement les Congolais à s’émanciper. Il lançait un message à tous les peuples colonisés : l’heure viendra où vous aussi, vous lèverez la tête.
Cette heure, pour les Papous, est lente à venir. Mais elle vibre déjà dans les voix de celles et ceux qui, au péril de leur vie, défient le silence. Theys Eluay, assassiné en 2001. Filep Karma, emprisonné pour avoir brandi le drapeau de l’indépendance. Markus Haluk, porte-voix infatigable de la lutte pacifique. Tous, à leur manière, traduisent l’esprit de Lumumba en langue mélanésienne. Tous affirment que la liberté ne se mendie pas – elle se revendique, elle se vit.
Mais la lutte papoue ne se réduit pas à une quête politique. Elle est aussi culturelle, spirituelle, existentielle. Car être libre, c’est pouvoir rêver en sa propre langue. C’est transmettre à ses enfants les mythes fondateurs sans passer par le filtre de l’exclusion. C’est prier, danser, créer, éduquer, construire selon ses propres codes. En ce sens, l’émancipation papoue n’est pas seulement un projet politique : c’est un projet de civilisation.
À ceux qui voient dans cette aspiration un danger pour l’unité indonésienne, il faut répondre par une vérité simple : l’unité authentique ne naît jamais de la répression. Elle se forge dans la justice, la réciprocité, le respect. Là où l’on impose, on détruit. Là où l’on écoute, on bâtit.
Ce combat, la communauté internationale ne peut plus l’ignorer. L’histoire jugera sévèrement ceux qui, au nom de la realpolitik ou de la croissance, auront fermé les yeux sur les souffrances d’un peuple. Le souvenir du Congo, de l’Algérie, du Timor-Leste, devrait nous rappeler que toute colonisation a une fin – et que la dignité finit toujours par briser les chaînes.
La Papouasie occidentale ne demande pas la pitié. Elle appelle à la solidarité. Celle des peuples qui, dans leur chair, ont connu l’oppression. Celle des citoyens du monde qui refusent que l’histoire se répète. Celle des héritiers de Lumumba, de Mandela, de Biko, de Gandhi, de tous ceux qui ont compris que la liberté ne se partage pas : elle s’affirme, elle se protège, elle s’étend.
En 1960, Lumumba lançait un serment : « Nous allons montrer au monde ce que peut faire l’homme noir lorsqu’il travaille dans la liberté. » Aujourd’hui, les Papous reprennent ce flambeau. Ils veulent, eux aussi, montrer ce que peut faire un peuple mélanésien lorsqu’il n’est plus assigné à l’invisibilité.
Et si l’histoire a une mémoire, alors que le monde se souvienne de ces mots de Filep Karma, avant qu’il ne meure dans l’indifférence des chancelleries :
« Mieux vaut mourir debout pour la liberté que vivre à genoux sous l’occupation. »
Non, ce n’est pas un slogan. C’est une promesse. Un testament. Une prophétie.
Et peut-être, bientôt, un point de départ.
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