Quand la police veut philosopher avec un indépendantiste papou

Quand la police veut philosopher avec un indépendantiste papou


Novembre 2018. Commissariat de la police régionale de Jayapura. Encore une journée normale dans la vie d’un Papou engagé : 

interrogatoire, café tiède, menaces voilées, et un petit moment de vérité en prime.


Assis en face de moi, un enquêteur en uniforme, visiblement perplexe devant mon dossier. Il me regarde comme s’il ne comprenait pas ce qui cloche chez moi. Et soudain, la question tombe :


"Monsieur Markus, pourquoi vous battez-vous avec autant d’acharnement pour l’indépendance de la Papouasie, alors que vous pourriez faire carrière dans le gouvernement indonésien ?"


Ah, la fameuse question. Celle qu’on me sert comme un plat réchauffé à chaque arrestation. J’ai souri. Puis j’ai répondu, calmement, mais avec la puissance d’une montagne prête à exploser :


"Parce que l’Indonésie n’est pas l’avenir du peuple papou. En revanche, beaucoup d’Indonésiens considèrent la Papouasie comme leur avenir. Vous voyez la différence ? Moi je me bats pour que mes enfants aient une terre, pas pour obtenir un bureau climatisé à Jakarta."


Le silence dans la salle. Alors j’ai continué, comme on déroule une vérité longtemps refoulée :


"Si nous restons sous l’Indonésie, dans 20, 30, peut-être 50 ans, nous aurons tout perdu : nos terres, notre culture, notre dignité. L’indépendance, c’est notre dernière chance de survie. Et vous savez quoi ? Cette indépendance ne sera pas un désastre pour vous. Elle sera une bénédiction. Pour l’Indonésie. Pour la région. Pour le monde."


Ils me regardaient comme si je parlais chinois. Alors j’ai donné un exemple bien concret, avec un petit clin d’œil historique :


"Vous vous souvenez du Timor oriental ? En 2000, on disait que ce serait la ruine de l’Indonésie, que seuls les Australiens et les Portugais en profiteraient. Aujourd’hui ? Tous les matériaux de construction, les produits alimentaires, les services, viennent d’Indonésie. Qui gagne ? Vous."


"Regardez l’Histoire : l’indépendance de l’Indonésie a profité aux Pays-Bas, celle de la Papouasie Nouvelle-Guinée à l’Australie et au Royaume-Uni. Et demain, celle de la Papouasie occidentale profitera à l’Indonésie. Alors vraiment, détendez-vous. Vous n’avez rien à craindre."


À la fin de mon plaidoyer improvisé, l’enquêteur est resté silencieux. L’avocat à côté de moi avait les yeux humides. Et le policier m’a dit une phrase que je n’oublierai jamais :


"Merci, Monsieur Markus. C’est grâce à vous que j’ai appris tout cela."


Voilà. C’est ça, mes séances d’interrogatoire.

Des moments d’éducation politique gratuits… offerts par un Papou rebelle, entre deux menaces d’incarcération.


Markus Haluk 

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