L’amnésie papale : quand Rome oublie ses périphéries chrétiennes

L’amnésie papale : quand Rome oublie ses périphéries chrétiennes

On dirait que la mémoire des papes fonctionne à géométrie variable. Quand il s’agit de grands symboles universels, de guerres médiatisées, de réfugiés qu’on peut montrer dans les homélies, alors Rome s’enflamme, cite l’Évangile, appelle à la paix. Mais quand il est question de deux terres oubliées, deux terres chrétiennes perdues au bout de l’archipel indonésien — Timor-Oriental hier, Papouasie occidentale aujourd’hui — tout devient subitement brumeux. Le vocabulaire se réduit à des généralités : dignité, fraternité, communion. Pas un mot trop clair, pas une condamnation trop directe, au risque d’irriter Jakarta.


Timor-Oriental : bénir sans nommer les bourreaux

Timor-Oriental a connu vingt-quatre ans d’occupation sanglante. Des massacres, des villages entiers rasés, des prêtres assassinés. Et l’Église ? Elle a murmuré. Jean-Paul II avait bien effleuré la plaie, François est venu sourire et bénir, parler d’abus contre les jeunes. Mais de l’occupation elle-même, des responsabilités politiques, silence. Une amnésie habillée en prudence diplomatique. On soigne la plaie avec de l’eau bénite mais on ne dit jamais qui a planté le couteau.


Papouasie occidentale : l’oubli plus commode que la vérité

Et la Papouasie occidentale ? Encore plus commode de ne pas en parler. Trop lointaine, trop compliquée, trop encombrée de militaires et de multinationales minières. Là aussi, une population chrétienne écrasée, discriminée, déplacée. Mais mieux vaut célébrer l’« harmonie interreligieuse » que rappeler la réalité d’un colonialisme interne qui se poursuit sous les yeux du monde.

On appelle cela prudence, sens diplomatique, souci de dialogue. C’est plus chic que de dire lâcheté. Mais les victimes, elles, n’entendent que le vide. Le Vatican préfère ménager l’Indonésie, ce géant musulman qu’il faut flatter, plutôt que d’assumer le rôle prophétique de celui qui nomme l’injustice. On préfère préserver l’accès aux chancelleries qu’écouter les cris des Papous.


Une complicité par le silence

Ainsi l’histoire se répète : des papes prompts à parler des « périphéries » quand il s’agit de slogans universels, mais soudain frappés d’amnésie quand ces périphéries exigent des paroles trop concrètes, trop politiques, trop dangereuses. Et voilà comment le silence se transforme en complicité involontaire.

La vérité, c’est que Timor et la Papouasie ne pèsent pas assez lourd pour briser le confort diplomatique de Rome. Ce sont des marges sacrifiées, où l’Évangile est prié mais où l’on n’aura jamais droit à une pleine parole de justice. Le pape bénit, le peuple survit, et l’Histoire continuera d’attendre que quelqu’un ose dire clairement ce que le Saint-Siège s’entête à taire.

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