Assemblée plénière des évêques d’Indonésie : marcher ensemble, avec ou sans la Papouasie ?

Assemblée plénière des évêques d’Indonésie : marcher ensemble, avec ou sans la Papouasie ?

Du 3 au 7 novembre 2025, l’Église catholique d’Indonésie se réunit à Jakarta pour le SAGKI 2025, grande assemblée plénière des évêques placée sous le signe de la synodalité. Mais une question persiste : cette marche annoncée comme commune inclut-elle vraiment la Papouasie, blessée par la violence, la marginalisation et le silence de l’Église ?

Quarante et un évêques, accompagnés de 374 délégués issus de 38 diocèses, réfléchiront au thème :

« Marcher ensemble, pèlerins d’espérance : devenir une Église synodale et missionnaire pour la paix. »

Un thème inspirant, riche d’espérance, et en harmonie avec la dynamique mondiale de la synodalité voulue par le pape François. Mais une question demeure : quelle “paix” l’Église indonésienne osera-t-elle annoncer si elle ne regarde pas en face la blessure ouverte de la Papouasie ?


Un grand rendez-vous spirituel, une zone d’ombre nationale

Dans ce vaste archipel à majorité musulmane — près de 87 % de la population —, les catholiques ne représentent qu’environ 3 % des 280 millions d’Indonésiens.

Cette minorité discrète, mais dynamique, s’efforce de vivre et de témoigner de l’Évangile au cœur d’une société religieusement plurielle, souvent traversée par des tensions communautaires et des pressions politiques.

Bien qu’institutionnellement respectée, l’Église catholique d’Indonésie reste d’une grande prudence dans l’espace public. Elle cherche avant tout à préserver le dialogue interreligieux et l’harmonie nationale, tout en promouvant la justice, la paix et la solidarité envers les plus fragiles.

C’est dans ce contexte de minorité confessionnelle et de délicat équilibre institutionnel que le SAGKI 2025 prend tout son sens : un moment pour réfléchir à la manière d’être une Église prophétique et fraternelle dans une nation plurireligieuse — sans renoncer à sa liberté évangélique ni à son engagement envers les peuples marginalisés, notamment en Papouasie.

Mais lorsque des journalistes ont demandé si la question papoue — celle d’une région martyrisée depuis des décennies — figurerait parmi les thèmes débattus, Mgr Antonius Subianto Bunjamin, président de la Conférence épiscopale indonésienne, a répondu avec une prudence mesurée :

« Cela dépendra des délibérations des diocèses et de la liberté des participants. »

Une réponse polie, mais évasive, qui laisse planer le doute. Rien ne garantit que la Papouasie sera réellement abordée — et ce silence anticipé en dit long sur les limites d’une synodalité encore hésitante face aux blessures les plus profondes du pays.


La Papouasie : une croix à la périphérie

En Papouasie occidentale, la population — majoritairement chrétienne et mélanésienne — vit depuis plus d’un demi-siècle sous tension : violences militaires, spoliation des terres, racisme systémique et destruction culturelle. Cette situation trouve son origine dans une annexion imposée. En 1962, l’Accord de New York, signé entre les Pays-Bas, les États-Unis et l’Indonésie sans la participation du peuple papou, a transféré l’administration du territoire à Jakarta. Sept ans plus tard, le prétendu « Acte de libre choix » de 1969 — mené sous menace et coercition, avec seulement 1 025 délégués triés sur le volet représentant plus de 800 000 Papous — entérina formellement l’intégration à l’Indonésie, marquant le début d’une longue ère de répression et de marginalisation.

Dans ces conditions, parler de “paix” sans évoquer la Papouasie, c’est comme parler de Résurrection en oubliant le Calvaire. Là-bas, des prêtres, des catéchistes et des religieux risquent leur vie pour défendre la dignité de leur peuple. Leurs communautés, souvent isolées, célèbrent l’Eucharistie avec des chants mélanésiens et des symboles inculturés : un christianisme à la fois joyeux et crucifié.

Mais leur cri peine à franchir les murs du confort ecclésial. Dans la capitale, on parle de “synodalité” et de “mission”, mais les périphéries de l’Est restent inaudibles. Et c’est précisément ce fossé que Markus Haluk, intellectuel catholique papou, dénonce avec gravité :

« Puissent les évêques d’Indonésie ouvrir les yeux et les oreilles au cri du peuple papou. »


La synodalité, une exigence de vérité

La synodalité n’est pas un slogan. Elle est une conversion : celle du regard, de la parole et du cœur. Elle exige d’écouter les voix qui dérangent, d’accueillir les vérités inconfortables, de marcher avec ceux qui saignent.

Une Église vraiment “synodale et missionnaire pour la paix” ne peut se contenter de déclarations consensuelles. Elle doit oser nommer les blessures de la nation — y compris celles que le pouvoir politique préfère taire. Ne pas parler de la Papouasie, c’est trahir le Christ souffrant dans son peuple.

Car la paix du Christ n’est pas une paix de façade : elle est fruit de la justice. Et comme l’écrivait saint Jean-Paul II : « Il n’y a pas de paix sans justice, pas de justice sans pardon. » Encore faut-il, pour pardonner, commencer par reconnaître la blessure.


L’Évangile au risque du silence

L’Église d’Indonésie est appelée à une fidélité plus grande que la prudence diplomatique. Elle est appelée à être la voix de ceux qui n’en ont pas. Car si la croix du Christ est plantée aujourd’hui quelque part en Indonésie, c’est sans doute en Papouasie qu’elle saigne le plus.

La vraie synodalité commence quand l’Église choisit le courage de la vérité plutôt que la sécurité du consensus. Quand elle ose dire : « Nous avons entendu le cri de nos frères papous. Nous marchons avec eux. »


Un appel à la conversion pastorale

Le SAGKI 2025 pourrait devenir un moment historique — à condition que les évêques ne se contentent pas de parler de paix, mais qu’ils marchent pour la justice.

Cela signifie :

  • Écouter les voix papoues dans l’assemblée plénière ;
  • Intégrer la question de la justice et de la dignité des peuples autochtones dans les orientations pastorales ;
  • Reconnaître que l’évangélisation passe aussi par la défense des droits humains et la guérison des blessures historiques.


Comme le dit Markus Haluk :

« La synodalité ne signifie rien si les pasteurs n’entendent pas les brebis qui crient sous la croix. »


De Jakarta à Jayapura, un seul Corps

Si l’Église veut marcher “ensemble en pèlerins d’espérance”, elle doit marcher avec tous, surtout ceux qui portent la croix dans leur chair. La Papouasie n’est pas une marge du pays, ni un problème politique : elle est le visage souffrant du Christ en Indonésie.

Et l’Église, si elle veut être vraiment missionnaire pour la paix, ne peut détourner le regard. Puissent donc les évêques réunis à Jakarta ouvrir leurs cœurs à cette périphérie oubliée. Car seule une Église qui entend le cri des pauvres et des crucifiés peut annoncer au monde la vraie paix du Christ.


Wim Anemeke 

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