Archidiocèse de Merauke : du Cœur d’Issoudun aux dilemmes moraux contemporains

Jules Chevalier (1824‑1907), fondateur des Missionnaires du Sacré-Cœur de Jésus (MSC).

Archidiocèse de Merauke : du Cœur d’Issoudun aux dilemmes moraux contemporains

De la fondation des Missionnaires du Sacré-Cœur de Jésus à Issoudun jusqu’à l’archidiocèse de Merauke, en Papouasie méridionale, ce texte met en lumière la mission catholique, son enracinement complexe et les dilemmes éthiques aigus soulevés par les Projets stratégiques nationaux de l’État indonésien.


Fondation, mission et engagement pastoral

Le 8 décembre 1854, Jules Chevalier fondait à Issoudun, en France, la Congrégation des Missionnaires du Sacré-Cœur de Jésus (MSC). Ce choix de date, coïncidant avec la fête de l’Immaculée Conception, témoignait dès l’origine d’une vocation centrée sur le Cœur de Jésus comme symbole d’un amour compatissant et universel. 

Issoudun devint non seulement le siège administratif de la congrégation, mais également le « point de départ de toute l’épopée missionnaire » des MSC, dont la devise exhortait à l’amour universel du Sacré-Cœur. Dès ses débuts, la congrégation s’engagea dans la pastorale paroissiale, l’enseignement du catéchisme et l’organisation de retraites et de missions populaires, complétant l’action des prêtres diocésains. 

L’approbation pontificale de 1869, puis la confirmation définitive en 1874, permettaient à la congrégation de structurer son rayonnement international et de concevoir l’évangélisation au-delà de l’Europe. L’ouverture aux missions lointaines, en particulier en Océanie et en Mélanésie, traduisait l’idéal universaliste des fondateurs : porter l’amour du Christ aux populations marginalisées, isolées ou ignorées, incarnant ainsi la proximité de Dieu dans des territoires jusqu’alors éloignés.


L’arrivée à Merauke et la construction d’une église locale

C’est dans ce contexte que les MSC posèrent les premières pierres de l’évangélisation en Papouasie méridionale. Le préfet apostolique Mathias Neijens accosta à Merauke le 24 avril 1904, inaugurant une présence marquée par le risque et la confiance évangélique. L’arrivée de la première équipe missionnaire en août 1905, avec les pères Henri Nollen et Philipus Braun, ainsi que les frères Dionysius van Roesel et Melchior Oomen, permit d’établir des points d’évangélisation dans des villages comme Maro et Okaba. 

Les missionnaires apprenaient les langues locales, visitaient les familles, soignaient les malades et s’efforçaient de respecter les coutumes, incarnant le message du Sacré-Cœur dans la proximité et le service concret. Peu à peu, le catholicisme s’enracina, donnant naissance à des communautés locales et préparant le terrain à une institution ecclésiale durable.


De la mission à l’archidiocèse : continuité et hiérarchie

Au fil des décennies, la mission se transforma en structure institutionnelle stable. La création du Vicariat apostolique de Merauke en 1950, puis l’élévation au rang d’archidiocèse métropolitain en 1966, renforça la légitimité de la congrégation sur le plan administratif. 

Cette hiérarchie, conservant des liens étroits avec les MSC d’Europe, plaçait l’Église locale dans une position où elle devait naviguer entre service pastoral, encadrement social et interaction avec l’autorité politique nationale. Le rôle des MSC, désormais incarné dans l’archidiocèse, s’étendait bien au-delà de la prédication : éducation, santé, accompagnement social et structuration communautaire devenaient autant de vecteurs d’influence. 

Mais après l’annexion de la Papouasie occidentale par l’Indonésie en 1969 et la consolidation de son appareil administratif, ces activités pastorales et sociales se sont retrouvées prises dans un contexte politique chargé : parfois alignées sur les priorités de l’État, parfois en décalage — voire en friction — avec les aspirations, les droits et l’autonomie des populations locales.


Archidiocèse de Merauke et projets PSN : dilemme moral contemporain

L’histoire des MSC à Merauke atteint aujourd’hui un paradoxe frappant dans la personne de l’archevêque Petrus Canisius Mandagi. Son soutien implicite à certains Projets Stratégiques Nationaux (PSN) — responsables de déforestation, de conversion de deux millions d’hectares et de bouleversement des modes de vie locaux — pose un dilemme moral aigu.

Cette tension s’accentue lorsqu’on rappelle qu’il avait, quelques années auparavant, accepté un don de la société Korindo, accusée de déboisement massif, pour financer la construction d’un séminaire. Pour de nombreux Papous, ce geste symbolisait un compromis scandaleux, assimilable à un « pot-de-vin écologique » qui semblait légitimer les acteurs de la destruction de leurs terres et forêts.

Comment un pasteur, chargé de protéger les plus vulnérables, peut-il cautionner indirectement des initiatives qui menacent les équilibres écologiques, les solidarités communautaires et les patrimoines culturels ?

Ce conflit dépasse l’incohérence personnelle : il met en lumière le choix entre fidélité à l’État et fidélité à l’Évangile. Jusqu’où un responsable ecclésial peut-il soutenir un développement destructeur sans trahir sa mission de justice, de protection de la création et de respect des peuples autochtones, comme le rappelle Laudato Si’ (n°64) : « La protection de la création n’est pas un sujet secondaire, mais un impératif moral fondamental » ?


Réflexion critique : mémoire, service et responsabilité

L’histoire de l’archidiocèse de Merauke illustre une continuité complexe entre mission religieuse, structuration institutionnelle et interaction politique.

D’une part, les MSC ont incontestablement contribué à l’éducation, à la santé et à la construction d’un réseau communautaire solide. D’autre part, cette présence a également facilité la consolidation d’une influence étatique sur des territoires isolés et culturellement divers. Aujourd’hui, le rôle de l’Église — et en particulier de ses dirigeants — est scruté à l’aune de la justice écologique et culturelle. 

Lire cette histoire de manière critique implique de reconnaître l’héritage spirituel des MSC tout en interrogeant les conséquences politiques et morales de leurs actions, en particulier lorsqu’elles affectent la survie culturelle et environnementale des communautés papoues.

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